Comment aider nos enfants qui ont des troubles du sommeil ? Dans ce 4ème épisode du podcast Jambon Coquillettes, nous recevons Julie Renauld Millet, thérapeute et maman de deux enfants, Gaspard 8 ans et Louise 6 ans. Dans le numéro 57 du magazine BUBBLE, consacré au sommeil, nous l’avions interrogé, en tant que professionnelle, à propos de son livre Mon enfant ne veut pas dormir. Peurs, pleurs, cauchemars, écrans... L'aider à trouver le sommeil. Cette fois-ci, c’est en tant que maman que Julie témoigne ! Dans cet entretien elle nous fait part de ce qu’elle a vécu face aux troubles du sommeil de ses enfants et comment elle a réussi, au bout de plusieurs années, à trouver des solutions….
Écoutez l'article en version podcast !
Et abonnez-vous ici depuis votre smartphone pour découvrir les autres épisodes de Jambon Coquillettes.
LIENS
Son site
Son livre "Mon enfant ne veut pas dormir. Peurs, pleurs, cauchemars, écrans... L'aider à trouver le sommeil"
BUBBLEmag
Partager ce dossier
LIRE L'INTERVIEW
Anne-Laure Troublé : Bonjour, Julie !
Julie Renauld-Millet : Bonjour Anne-Laure !
A.-L. T. : Alors parmi tes propositions d'accompagnement à la parentalité, en tant que thérapeute, tu organises des formations à la discipline positive pour les parents. Est-ce que lors de ces ateliers, les troubles du sommeil font partie des sujets abordés par les parents ?
J. R.-M. : Alors, à chaque âge, ses « plaisirs » autour des troubles du sommeil ! Au démarrage, évidemment, les parents sont préoccupés par les nuits. Quand est-ce que mon enfant va « faire » ses nuits ? « Faire ses nuits », on a cette espèce d'obsession. On aimerait que nos enfants alignent cinq, six, sept heures de sommeil d'affilée, et en fait, ça va prendre du temps. Donc ça, c'est la première préoccupation des parents, c'est : « Quand est-ce qu'il va dormir longtemps ? » Ensuite, c'est l'apparition évidemment des réveils nocturnes, des cauchemars, aux alentours de 2 ans. Et puis, il y a aussi le coucher, évidemment, qui est un sujet de préoccupation, et puis qui peut vraiment rendre difficile nos soirées, puisque c'est un enfant qui ne veut pas se coucher, qui va se relever plusieurs fois dès lors qu'il sera plus dans un lit à barreaux, qu'on va avoir du mal à recoucher, qui va avoir du mal à s'endormir. Parfois, on cumule les deux : un enfant a du mal à se coucher et un enfant se réveille la nuit. Et, cherry on the cake, c'est l'enfant qui se réveille très tôt le matin, vers 5 heures, 6 heures. Et là, évidemment, les parents sont fatigués et pas forcément aptes à faire de la pâte à modeler dès 5 heures du matin. Et pourtant, c'est parfois juste le rythme de l'enfant. Donc même si ça pique un peu et que c'est difficile pour le parent, eh bien, on ne peut pas faire grand-chose pour les décaler et leur faire faire des grasses matinées si tôt.
A.-L. T. : Alors je sais que dans ton livre, tu proposes du coup plusieurs solutions pour essayer d’aider son enfant à dormir. En revanche, tu cites de nombreux exemples dans ton livre, de parents en prise aux troubles du sommeil de leurs enfants, mais tu ne parles jamais de toi. Je sais que tu as deux enfants. Tu n'as jamais eu de soucis, toi, avec tes enfants ?
J. R.-M. : Non, moi, mes enfants dorment très bien depuis leur naissance ! Non, en fait… Oui, effectivement, mes enfants m’ont compliqué la tâche, ou me l'ont rendue facile pour écrire le livre ! Parce qu’en fait, je suis un peu toutes ces mamans, tous ces papas que j'interviewe dans mon livre. Je me retrouve un peu partout. C'est pour ça que ça a résonné très fort en moi quand on m'a proposé d'écrire sur ce sujet-là, parce que j'ai mis beaucoup de temps à coucher mes enfants, à dormir la nuit, à ne pas être réveillée. Donc je suis au cœur du sujet et je ne l'ai quitté que très, très récemment.
A.-L. T. : Parce que, donc, il y a d'abord eu Gaspard, 8 ans. Tu peux nous expliquer un peu ce qui se passait avec Gaspard ?
J. R.-M. : Alors avec Gaspard, j'ai découvert que les siestes pouvaient ne durer que 20 minutes, y compris quand l'enfant sortait de la maternité, et parfois même les nuits. Les cycles étaient vraiment très courts pour lui, donc j'avais l'impression qu'il ne dormait jamais, que j'avais jamais le temps de rien faire, à peine le temps de prendre une douche. Donc c'était très, très fatigant dès le départ. Puis il a réussi à peu près à trouver son rythme, à faire ses nuits, et puis est arrivée sa petite sœur,…
A.-L. T. : Sans que tu fasses quelque chose de précis ?
J. R.-M. : Alors si, j'ai fait des tas de choses. J'ai consulté, j’ai vu une pédopsy, j'ai vu un ostéo, deux ostéos, de l’homéo… Enfin, oui, j'ai tout essayé à peu près. Il n'y a pas grand-chose qui ait vraiment fonctionné, à part le temps, la patience. Et puis comprendre aussi, maintenant qu'il a 8 ans, en tout cas, je le sais très profondément, c'est qu'il a un rythme assez particulier. C'est un enfant qui s'endort tard. Il a 8 ans, il ne s’endort jamais avant 21 h 30 voire 22 heures, même si je le couche à 20 heures. Et ça, j'ai appris à l'accepter. Et puis, voilà, c’est un enfant qui a moins besoin de sommeil, peut-être, que les autres. Mais, comme je l'explique dans mon livre, il y a pas mal de génétique là-dedans. Et, moi, je suis une très bonne dormeuse, mais je fais que 50 % du boulot, sur la génétique, et son papa en revanche, il a besoin de très peu de sommeil. Donc voilà, il a hérité des nuits courtes de son papa.
A.-L. T. : Tu parlais de l'arrivée de Louise, 6 ans…
J. R.-M. : Oui, Louise, aujourd'hui 6 ans. Elle a eu aussi un démarrage… C'est pas une marmotte ! Sur les deux, j’ai zéro marmotte ! Donc, c'était aussi assez fatigant, le coucher un peu difficile. Même si elle faisait peut-être des siestes un peu plus longues, et c'était moins un sujet. Et en revanche, quand Louise a commencé à faire ses nuits, Gaspard s'est remis à se réveiller à nouveau la nuit, à venir me voir toutes les nuits, nous réveiller une fois, deux fois. Donc, c'est là, en fait, que j'ai commencé à consulter. Quand ce n'était pas l'un, c'était l'autre. Et ça, ça a duré de longues années. C'est-à-dire que j'ai toujours eu au moins un réveil la nuit. Et c'est comme s’ils s’étaient vraiment connectés la nuit : « C'est toi qui te lèves ? Non, c’est toi, vas-y. Je me suis levé hier soir ! » Et j'en voyais toujours un débarquer. Il y avait toujours une excellente raison : un moustique, un cauchemar, ou mon pied me gratte, j'ai mal à la jambe, etc. Donc, ce n'est pas des enfants qui ont une nuit complètement sereine et le coucher a aussi été très long et fastidieux pour chacun des enfants.
A.-L. T. : Mais du coup, parmi les solutions que tu proposes dans ton livre, quelles sont celles que tu as appliquées, qui ont fonctionné pour toi ?
J. R.-M. : Ce qui a fonctionné, c'est le jour où j'étais prête à mettre un vrai cadre, le jour où j'étais prête à laisser mes enfants un peu pleurer, mais pas pleurer des heures et se mettre dans tous leurs états, mais juste râler un petit peu parce que j'ai compris petit à petit que vraiment, le sommeil, c'était un apprentissage et qu'il fallait que les enfants apprennent à s'endormir seuls, et qu'ils n'étaient pas aptes à le faire si tôt. En tout cas, les premiers mois de vie, c'était difficile pour eux. Il y en a qui y arrivent, mais pas tous. Donc c'était un apprentissage et que notre rôle de parents, c'était de les guider dans cet apprentissage, mais aussi de leur mettre un cadre et des limites assez vite en leur disant : « Voilà, là, c'est plus le temps des enfants, c'est le temps des parents. C'est le temps pour toi d'être dans ta chambre. La place où tu dors, c'est ton lit ; c'est pas le mien, c'est pas dans le salon, etc. » Et donc, petit à petit, j'ai réussi à mettre un cadre tout en rassurant l'enfant parce que j'ai deux enfants quand même assez sensibles. Et donc, je comprenais aussi qu'il y avait une espèce d'angoisse de se retrouver seul avec maman ou papa un peu loin. Donc j'ai passé un peu de temps dans le couloir, surtout avec Louise, au moment de l'endormissement. Avec Gaspard, je lui ai tenu la main pour qu'il s'endorme pendant un an, parce que je ne savais rien de ce qu'il fallait faire, je n'étais pas encore formée à tout ce que j'ai découvert par la suite. Donc j'ai beaucoup trop accepté et me suis beaucoup trop investie dans son accompagnement du sommeil. Avec Louise, j'avais un peu mieux compris. Donc au lieu d'avoir le bras dans le lit, j'étais assise dans le couloir. Et surtout, ce qui m'a aidée, c'était de ne pas me focaliser sur « Il faut qu'elle dorme, il faut qu'elle dorme, il faut qu'elle dorme, et c'est horrible, je suis en train de perdre ma soirée ». J'étais assise dans le couloir, soit avec un bon bouquin, soit avec des petits films à regarder, comme ça je savais que j'avais 20 minutes à patienter tranquillement, le temps qu'elle trouve le sommeil, qu'elle soit rassurée de me voir pas trop loin, mais pas non plus assise à côté d'elle à lui tenir la main.
A.-L. T. : Parce que de ce que j'ai compris dans ton livre, la clé, un peu, c'est que les enfants soient capables de s'endormir seuls. C’est-à-dire qu'ils apprennent à s'endormir seuls pour que, quand ils se réveillent la nuit, ils puissent se rendormir sans que le parent n'intervienne.
J. R.-M. : Exactement. En fait, on a ce même cycle, enfant, adulte, où on a des micro-réveils à la fin de chacun des cycles de sommeil pendant la nuit. À la fin de ces cycles, on se réveille. Donc soit on a appris à s'endormir seul et donc on arrive à se rendormir, soit si on s'est endormi le soir au sein, au biberon ou avec un papa qui chantait à côté, eh bien, à deux heures du matin, à la fin de mon cycle, je vais attendre que papa revienne chanter ou que maman revienne m’allaiter. Donc effectivement, c'est vraiment indispensable. Alors, je dis pas les premières semaines de vie, puisque là, effectivement, l’enfant a besoin de contact. Mais petit à petit, c'est ça qu'on va lui apprendre, c'est s'endormir seul.
A.-L. T. : Donc tu parles, pour endormir les enfants, qu’il faut bien trouver l'équilibre entre la bienveillance, c’est-à-dire les accompagner, mais aussi le cadre, et de dire à un moment : « Ça suffit. Stop ! » Cet équilibre, d’ailleurs, dans l'éducation en général, n’est pas toujours simple à trouver. Comment tu gères, toi la bienveillance et le cadre simultanément ?
J. R.-M. : Pour moi, c'est ça le plus difficile à trouver. C'est le bon équilibre entre bienveillance et ce que nous on appelle « fermeté ». Et c'est vraiment une danse. Jane Nelsen, qui a créé la discipline positive, elle dit que le mot le plus important, entre « fermeté » et « bienveillance », c'est le « et ». L’un ne va pas sans l'autre. C'est comme la respiration : on inspire, on expire. Et l'enfant, il a besoin à la fois du cadre et du respect du monde de l'adulte et le respect des limites ; et de bienveillance, c'est-à-dire le respect du monde de l'enfant. C'est-à-dire je regarde mon enfant là où il est, à l’âge qu'il est avec la maturité qu'il a, et l'expérience qu'il a, qu'il n'a pas. Donc, c'est très, très difficile de trouver cet équilibre parce que notre société actuelle, elle a bien compris, et de plus en plus, ce que c'est que la bienveillance. On a compris. L'enfant a un vrai rôle, il n'est plus considéré… Il n'est plus annexe. On a envie de créer du lien avec l'enfant. On a envie qu'il fasse partie intégrante de la famille et qu'on passe du temps avec lui. Et donc, on a compris que la bienveillance avait un vrai rôle et les parents ont tendance à plonger dans la bienveillance, et puis après, à se faire rattraper, évidemment, par eux. Parce qu'ils ont aussi envie d'avoir un peu de moments tranquilles, parce qu'ils sont fatigués, parce qu'ils ont eu des journées difficiles. Et donc on voit des parents qui sont bienveillants, bienveillants, bienveillants, jusqu'à ce que – Bam ! – le couperet tombe, et qu'ils deviennent fermes, mais fermes par agacement, par nervosité, par fatigue, par épuisement. Et donc ça, ça ne fonctionne pas parce que, du coup, on pète les plombs et notre réaction va être disproportionnée par rapport à ce que l'enfant, lui, demande, attend et est capable d'entendre et de comprendre. Donc la solution, elle est vraiment dans ce balancement entre « Je suis ferme », mais « J'attends pas d'être ferme ». Je suis ferme au quotidien ; je suis ferme en mettant un cadre ; en anticipant ; en expliquant à l'enfant qu’il va avoir cinq minutes ou dix minutes pour jouer, après ce sera terminé ; en lui mettant comme ça des échéances, des routines, qui va l'aider à respecter le cadre et le temps de l'adulte, aussi.
A.-L. T. : Ce que je me dis aussi, c'est mettre du cadre avec une voix bienveillante, c'est-à-dire que la forme, la façon dont on dit les choses à l'enfant peut être tout à fait bienveillante, même s‘il s'agit de cadres et d'interdits ou de restrictions.
J. R.-M. : Oui. Oui, on peut le dire sans agressivité, et en même temps, le ton, il est aussi important, c'est-à-dire que pour mettre un cadre, on met un cadre. Si on est un peu trop lénifiant, il va comprendre que le cadre est un peu fragile. Donc le cadre, c'est le cadre. C’est « Non, tu ne sors pas de ton lit. Tu as le droit de jouer dans ta chambre mais tu restes dans ton lit. », « Tu n’as pas le droit de sortir de ta chambre », par exemple. Donc on n'a pas besoin d'agressivité, de lui aboyer dessus, de colère et de cris, mais en revanche, on a le droit aussi d'avoir…Enfin, « on a le droit »… On a tous les droits. Mais ce qui est plus efficace, c'est d'employer un ton où on croit en ce qu'on dit pour que l'enfant y croit aussi, évidemment. Par mimétisme, si on annonce que le cadre est bien ferme, il va avoir plus de chances d'être respecté.
A.-L. T. : C'est vrai, ce que tu dis là. On l'entend souvent, on le lit beaucoup. C'est d’être convaincu soi-même, de ce qu'on dit, en fait. D'avoir bien réfléchi à ce qu'on veut poser comme cadre, l'avoir bien décrit, etc. Et ensuite le dire en étant convaincu. Est-ce qu'il y a des situations avec tes enfants où tu te sens plus démunie que d'autres situations ?
J. R.-M. : Je rebondis juste sur ce que tu viens de dire, c'est que non seulement on en est convaincu, mais on décide de ce que l'on va faire. Et on va jusqu'au bout. Parce que bien souvent, avec les enfants, on lance comme ça un peu des règles, des échéances, etc. Et si on ne les tient pas, le message qu'on envoie à nos enfants, c’est « Je ne tiens pas mon engagement ». Donc il n'y a aucune raison qu'il le tienne, lui. Et l'idée, c'est vraiment de se dire : « Je décide ce que je vais faire et je fais ce que j'ai décidé. »
A.-L. T. : D'où l'intérêt de décider des choses qui sont possibles ! Parce qu'il arrive aussi qu'on menace avec des punitions que l'on sait déjà d'avance irréalisables !
J. R.-M. : Et ça, ça va être contre-productif.
A.-L. T. : Tout à fait. Donc, oui, je te posais cette question : est-ce qu'il y a des situations du quotidien où tu te sens un peu démunie, avec les enfants ?
J.R.-M. : Alors là où je vais me sentir démunie, ça va en général venir de l'extérieur, c'est-à-dire que je baigne tellement dans la discipline positive, dans l'accompagnement de l'enfant avec bienveillance et fermeté, dans les neurosciences, etc. que, aujourd'hui, ça m'est très difficile de constater que tout le monde n'est pas dans ce train-là. Là où je vais être démunie, c'est quand mon enfant va me parler de punitions à l'école, etc., de punition où, par exemple, on copie des lignes, parce que là, je vais me dire : « Ah, c'est dommage, parce que qu'est-ce que l'enfant apprend, de ça ? Est-ce que, vraiment, il y a un apprentissage qu'on a transmis à l'enfant ? Est-ce que, en copiant des lignes, il va apprendre quelque chose ? Il va grandir, de ça ? Est-ce qu'on ne pourrait pas proposer à l'enfant quelque chose où il va développer une compétence – celle qui lui manque –, c'est-à-dire, s'il a oublié un cahier, on mène une réflexion sur l'oubli, ou on lui demande d'être responsable toute la semaine de quelque chose dans la classe. » Voilà ce qui va un petit peu me… Là où je vais me sentir démunie, c'est de me dire : « Comment je reconnecte avec ce que moi je prêche toute la journée, et ce qu’il peut recevoir ? » parce que tout le monde n'est pas sur ce chemin-là, que ce soit à l'extérieur, la famille, les amis ou l'école.
A.-L. T. : Dans tes relations avec tes enfants, est-ce qu'il y a des situations, est-ce qu’ils se disputent, est-ce qu'il y a des refus, est-ce qu'il y a des blocages qui font qu'aujourd'hui, parfois, tu ne sais pas toujours comment te comporter avec eux ?
J. R.-M. : Mais plein ! Il y a plein de blocages, de refus, d'opposition. Chez moi, évidemment que je crie encore, que je sors de mes gonds.
A.-L. T. : Ça t’arrive encore ?
J. R.-M. : Oui, bien sûr. Je suis loin d'être une mère parfaite, mes enfants ne sont pas du tout parfaits. Mais ce qui fait la différence aujourd'hui, c'est que je gagne du temps. C'est-à-dire qu'une fois que je suis sortie de mes gonds, je sais comment rebondir. Je sais réparer mon erreur qui est, je le répète, une formidable opportunité d'apprentissage. Et donc, oui, ils se disputent. Et, oui, il y a des choses qui me découragent un peu, comme quand je vois que je sème, je sème, mais que ça ne pousse pas comme je voudrais. Et donc, ça, c'est avoir le courage d'être imparfait et pouvoir s'adapter. Se dire que parfois, oui, il faut un peu de temps, il faut de la maturité. Et puis il faut accepter aussi qu'on ait des hauts et des bas, des moments où on est fatigué, et eux comme moi.
A.-L. T. : Tu dis : « Je sais comment réparer mes erreurs. » Tu veux dire quoi ?
J. R.-M. : En fait, quand je sors de mes gonds, je sais ce qu'il faut faire pour retrouver une solution constructive, efficace, à un problème. Quand je m'énerve contre un de mes enfants, assez vite, je sais trouver quel outil je vais pouvoir utiliser pour revenir dans la conversation, dans la relation, dans la communication et surtout, si je me suis énervée, c’est qu'il a fait, quelque chose qui ne me va pas. Et donc je vais utiliser le bon outil à bon escient pour qu'il fasse ce que je voudrais qu'il fasse. En tout cas, qu'il comprenne que ce qu'il a fait n'est pas acceptable.
A.-L.T. : Par exemple, quand ils se disputent régulièrement et que tu sors de tes gongs, qu'est-ce que tu as comme outil, justement ? Pour avoir un exemple concret.
J. R.-M. : Par exemple, je sors de mes gonds, je m'énerve parce qu'ils se disputent. Ça peut m'arriver d'avoir envie de demander à l’aîné de s'arrêter, d'arrêter d'embêter sa petite sœur parce que c'est l'aîné. Or, je sais très bien que le rôle d’aîné, il est justement celui qui doit être responsable, qui doit montrer l'exemple, etc. Et c'est lourd, pour un aîné d’être toujours celui qui doit faire, et c'est un peu facile pour le deuxième, parce que lui, il est toujours bien tranquille, c'est jamais lui qu’on va engueuler. Donc si, par exemple, un jour ils se disputent et que je m'énerve contre l’aîné, j'essaye de redevenir juste, et donc neutre, et de leur dire : « Écoutez, si vous n'arrivez pas à jouer ensemble, séparez-vous, jouez chacun dans votre chambre, ou trouvez une solution pour jouer ensemble, mais moi, je n'ai pas envie d'entendre ces cris. » Je ne rentre pas dans la dispute, mais je les mets en recherche de solution eux-mêmes, en autonomie, sans faire l'arbitre, et pour leur proposer quelque chose qui leur aille à tous les deux.
A.-L. T. : Une question un peu délicate : quelles sont tes qualités de parent et tes défauts de parent ?
J. R.-M. : Les qualités, je pense que ce serait l'écoute. Je pense être à l'écoute de mes enfants et qui peut parfois se tourner en défaut, à mon avis, parce que je suis peut-être un peu trop à l'écoute. C'est-à-dire que je sens tellement ce qui se passe pour eux, pourquoi ils réagissent comme ça, etc., que, parfois, je manque sûrement de distance. Et le défaut, peut-être de ne pas avoir pris assez de temps pour moi, au démarrage. J'ai l'impression que de 0 à 3 ans, j'ai vécu le truc un peu comme une bataille, un peu comme un combat, quelque chose de vraiment… Avec trop de contraintes et pas assez de temps de qualité, parce que je n'étais pas encore assez outillée à ce moment-là.
A.-L. T. : Beaucoup d’exigences ?
J. R.-M. : Pas forcément d'exigences, mais en tout cas, tout me coûtait. J'avais l'impression… Comme je ne dormais pas beaucoup, j'étais fatiguée, je ne savais pas comment sortir de là. Je me sentais seule. Je savais pas où trouver de l'aide. Je ne savais pas comment faire et donc j'ai trouvé dommage de ne pas pouvoir profiter un peu plus du démarrage à cause de la fatigue, à cause du manque d'aide, que ce soit l'aide de l'extérieur ou l'aide en ayant les bons réflexes, les bonnes réactions.
A.-L. T. : Si aujourd'hui c'était à refaire, comment tu pourrais faire différemment ?
J. R.-M. : Le truc, c'est que je sais pourquoi je l'ai fait à ce moment-là. C'est en fonction de qui j'étais à ce moment-là, donc j'ai beaucoup de tolérance pour celle que j'étais quand mes enfants sont nés. Je sais pourquoi j'ai fait ça. Si c'était à refaire, c'est difficile parce qu’aujourd'hui, j'ai un tel autre regard.
A.-L. T. : Mais qu'est-ce que tu conseillerais à des parents qui auraient ces mêmes problématiques, d’avoir la sensation d'être sous l'eau en permanence, avec deux enfants en bas âge ? Tu leur conseillerais quoi, aujourd’hui, toi, avec ton recul ?
J. R.-M. : Je leur conseillerais de participer à mes ateliers de parents ! Je leur conseillerais, en fait, de se faire aider, de ne pas avoir « honte », entre guillemets, de demander de l'aide, parce que c'est vrai qu'on se dit : « Bon, je fais un enfant, je sors de la maternité, c'est comme s'il y avait un mode d'emploi. » Mais non, en fait. C'est pas parce que nous-mêmes avons été enfants qu'on sait comment élever un enfant, qu'on sait ce qu'il faut faire, pas faire. C'est quand même la chose la plus difficile au monde, éduquer un enfant. Et puis pour autant, on se dit : « Mais comme tout le monde y arrive… » Voilà : « Toutes les femmes ont accouché, donc pourquoi pas moi ? Moi aussi, je devrais y arriver. Donc je ne vais pas demander de l'aide à mes parents, mes beaux-parents ou à mes sœurs. C'est montrer que je suis défaillante, que je ne peux pas assurer ». Parce que c'est très difficile, à mon avis, de demander de l'aide. Et pourtant, parfois, l'aide peut être nécessaire et surtout, je leur dirais « Soyez patientes », en fait.. 'Parce qu’l y a des tas de choses… On a envie d'aller vite. On a envie que nos enfants fassent des nuits le plus vite possible. Donc on va tout de suite aller consulter en se disant : « Voilà, j'ai besoin d'aide maintenant, tout de suite, faut que ce soit efficace. » Et donc j'aurais envie de dire : « Bon, laissez-vous aussi un peu porter, couler, avec avec cet enfant, profiter. Oui, c'est fatigant. Oui, c'est dur. Mais vous allez voir que tout passe. »
A.-L. T. : Il est bientôt l'heure de nous séparer. Et voici mes deux dernières questions : qu'évoque pour toi le jambon-coquillettes ? Et quel est ton plat fétiche quand tu n'as pas le temps de cuisiner ?
J. R.-M. : Alors, jambon-coquillettes, pour moi, c'est ma fille. Je crois que c'est son repas préféré. Et le plat régressif, ça serait ce qu'on appelait en Belgique, là où je suis née, le repas tartines, c'est-à-dire un bon petit sandwich jambon-beurre qu'on peut faire à n'importe quelle heure, n'importe quel jour de la semaine, et en général, qui fait des heureux à la fois côté enfants comme côté parents.
A.-L. T. : Merci Julie, d'avoir partagé avec nous ces expériences de ta vie de famille, et surtout, d'avoir trouvé le temps pour cet entretien.
J. R.-M. : Merci, Anne-Laure !
Jambon Coquillettes, un podcast du magazine Bubble, la vie de famille… en vrai !