Et si les enfants difficiles n'étaient pas plutôt des enfants hypersensibles ? Pour répondre à cette question, nous recevons dans ce 2ème épisode du podcast Jambon Coquillettes, Aude Chabrier, 38 ans et maman de deux garçons de 8 et 6 ans, Marin et Balthazar. Co-fondatrice du magazine parental Bubble Mag, Aude est également formatrice en communication bienveillante Faber et Mazlish. Elle nous parle de ses deux garçons de 8 et 6 ans, Marin et Balthazar et notamment de sa relation avec son deuxième, un enfant hypersensible. Elle explique ce qu'elle a découvert et comment cela a changé radicalement sa façon d'interagir avec lui. Un podcast passionnant sur les enfants que l'on dit «difficiles»…
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Anne-Laure Troublé : Bonjour Aude !
Aude Chabrier : Bonjour Anne-Laure.
A.-L.T. : Merci d'avoir accepté mon invitation. Peux-tu nous dire en quoi consiste ce truc au nom un peu bizarre, « Faber et Mazlish » ?
A.C. : Faber et Mazlish, c'est une approche de communication bienveillante, donc ça se fonde sur les outils et les principes de la communication non violente de Marshall Rosenberg. Et ç’a été développé par deux Canadiennes, dans les années 70-80. Donc, concrètement, ce sont des ateliers qu'on fait entre parents. On est entre six et douze parents. Il y a sept ateliers où, ensemble, on découvre des outils, des « habiletés », comme ils appellent, c'est-à-dire des façons de voir son enfant autrement et des tournures de phrase qui permettent d'éduquer son enfant tout en le respectant et en respectant son intégrité d'être humain. De façon plus globale, en fait, les principes de la communication bienveillante, ça repose sur le fait de parler plutôt de soi, des émotions qu'on a, plutôt que de parler de l'autre. Il y a une petite expression qu’on dit : « Le “tu” tue. » C’est-à-dire que parler de l'autre et le juger, ça peut avoir un impact négatif, tandis que décrire une situation et parler de ses propres sentiments n'attaque pas l'intégrité de la personne en face. L'enjeu, il n'est pas du tout de ne pas poser de cadre, bien au contraire. Ne pas poser de cadre à un enfant, c'est autant de la maltraitance, si vous voulez, que de poser un cadre bien trop strict avec de la violence éducative ordinaire. Les enfants, ils ont besoin d'un cadre. ils vont le chercher de toute façon. Ils vont le chercher un maximum. Parce que c'est dans ce cadre qu'ils vont se sentir en sécurité. Sans cadre, ils ne se sentiront pas en sécurité. Donc l'autorité est importante. C'est juste une autre manière de l'exercer, de manière beaucoup plus respectueuse de l'enfant.
A.-L. T. : Et toi, est-ce que tu arrives toujours à appliquer cette technique à la maison ?
A. C. : Je m'y efforce et je n'y arrive pas tous les jours, absolument pas ! Bien malheureusement ! En fait, l'histoire, c'est que j'ai découvert ces outils au moment de la naissance de mon premier enfant. Et il s'avère que c'était assez idyllique, les premières années de mon aîné, parce que j'avais ces outils, j'étais avec un enfant qui était visiblement assez calme. Et donc, il était tellement parfait que j'avais le sentiment que c'était grâce, justement, à la découverte de toute cette méthode. Et donc, pour être tout à fait transparente, j'avais l'impression que j’étais une mère absolument parfaite et que mon enfant était parfait, puisque je l'étais et que je l’élevais dans les bonnes conditions. Et d'ailleurs, à l'époque, j'animais des ateliers de Faber et Mazlish. Donc j'étais extrêmement convaincue de ce que je disais puisque chez moi, ça fonctionnait bien. Et il est vrai que j'avais du mal à comprendre, même si évidemment, j'étais dans l'accueil, et qu’on essayait de trouver des solutions, dans ma tête, si j'étais vraiment honnête, j'avais un petit peu de mal à comprendre que ça ne fonctionnait pas chez les autres. Donc je me disais « Ils ne travaillent peut-être pas aussi bien que moi, etc. » Et puis peut être que, si on croit en Dieu, il y a quelqu'un là-haut qui s'est dit que ça allait peut-être pas trop, qu’il fallait que je redescende un peu sur terre ! Et donc là, mon deuxième enfant est arrivé et ç‘a été tout à fait l'inverse. Et donc j'ai bien réalisé… Concrètement, qu'est-ce qui s'est passé ? Il s'est passé que mon aîné et mon deuxième enfant, qui était un enfant qui arrivait avec…Pas avec les mêmes comportements que l’aîné, donc beaucoup plus difficile à gérer. C'était plus compliqué de communiquer avec lui. Et aussi mon aîné, qui jusqu'à maintenant ne faisait aucune crise et était comme moi, j'aime bien le dire, « parfait », il a changé, aussi. Puisqu’il a eu un petit frère et que ça a eu des conséquences sur son comportement. Donc, je me suis retrouvée avec toujours ces outils, mais avec l'incapacité de les appliquer de la manière que je souhaitais. Ça voulait dire que je sortais de mes gonds assez régulièrement, que ça ne fonctionnait pas, que l'enfant ne dormait pas, que l'enfant faisait des crises.
A.-L. T. : Parce que qu’est-ce qui a été compliqué avec Balthazar, justement ? Qu'est-ce qui était différent et compliqué ?
A. C. : Il y a eu deux choses. Il y a eu la première, qui était le sommeil. Donc un enfant qui avait à la fois du mal à s'endormir et à être rassuré pour l'endormissement, avec beaucoup de réveils nocturnes jusqu'à ses 4 ans. Et, dans la journée, un enfant avec une hypersensibilité ; en tout cas, qui prend tout très à cœur. Donc la moindre contrariété peut dégénérer en une crise. Une crise de nerfs, donc des cris. Une difficulté plus importante, je pense, à rentrer dans le monde et à savoir se positionner dans le monde. Voilà. Tout lui paraissait, je pense, compliqué.
A.-L. T. : Et comment tu expliques ces difficultés ? Qu'est-ce qui avait été différent dans ton éducation ? Ou comment…? Tu as cherché, j'imagine, à essayer de comprendre pourquoi.
A. C. : Effectivement, j'ai essayé de comprendre. C'est-à-dire que j'avais le sentiment qu'avec Faber et Mazlish, et puis tout un tas d'autres approches sur lesquelles j'avais pu lire, je pensais que j'avais tous les outils qui permettaient effectivement d'accompagner tous les enfants. Or je me suis bien rendu compte que j'étais dans l'incapacité de pouvoir accueillir bien Balthazar. Et donc, effectivement, j'ai cherché. J’ai cherché à savoir, à comprendre pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ça ? Comment faire pour mieux l'accompagner ? Il s'avère que, donc, je suis allée un peu tous azimuts. Donc on est allés voir des kinésiologues, des psychothérapeutes, on a fait plusieurs choses. Et cette enquête nous a menés à découvrir des choses assez intéressantes. Notamment que sa vie utérine et des choses qui se sont passées dans la vie utérine ont eu des impacts assez importants sur son insécurité, notamment concernant le sommeil. Par exemple, concrètement, une kinésiologue m'a demandé s'il s'était passé quelque chose, très concrètement, au sixième mois de grossesse, parce que, elle, ce qu'elle ressentait, c'était qu'il avait peur de s'endormir car, pour lui, la nuit pouvait impliquer la mort, et notamment ma mort à moi, plus que la sienne. Il était dans l’inquiétude de s'endormir parce qu'il était dans l'inquiétude de la mort de sa mère. Donc elle m'a demandé : « Est-ce que, à votre sixième mois de grossesse, il s'est passé quelque chose ? » Et moi, j'avais évidemment plus en tête ma grossesse. Et au moment où elle me l'a dit, j'ai dit : « Mais bien sûr ! » C'est grotesque de ne pas s'en être aperçu avant, mais au sixième mois de grossesse avec Balthazar, nous étions en Sicile et, une nuit, j'ai une crise d'asthme comme je n'en ai jamais eu de ma vie. Une crise d'asthme pour laquelle je prenais ma Ventoline pour essayer de respirer. Ça ne fonctionnait pas. C'était tellement énorme, et je n'arrivais tellement pas à respirer qu’on a fini à l'hôpital, aux urgences. J'ai été sous perfusion, et voilà. C'était un énorme morceau. Et ça, je pense que, toute seule, je n'aurais jamais fait le lien. Alors que bon, maintenant que je te le dis, j’imagine que tu te dis : « Ah ben oui, en fait, c'est clair ! » Je n'avais jamais fait le lien. Donc il y a eu ça. Donc, il y a eu la verbalisation de ça pour Balthazar.
A.-L. T. : Mais du coup, oui, c'est ça. C'est qu'une fois que tu t’es rappelé cet épisode-là, comment, ensuite, tu as pu aider Balthazar à dépasser cette peur ?
A. C. : Alors sur ce sujet là… Parce qu'il y a eu d'autres étapes, ensuite. Mais sur cette étape-là qui a été découverte, il y a eu à la fois le fait de verbaliser et de lui dire que tout est O.K. et que maman va bien et que tout va bien ; il y a eu aussi le travail qui a été fait par la kinésiologue au moment de la séance, qui a été hyper impactant. Le soir même, il dormait.
A.-L. T. : Donc tu as vu un vrai effet sur le sommeil de Balthazar, suite à cette séance ?
A. C. : Il y a eu un vrai effet suite à cette séance. Il a dormi le soir même. Ça a duré trois mois où il dormait hyper bien. Donc ça, c'est quand il avait 2 ans, 2 ans et demi. Et par contre, après, trois mois plus tard, on a eu un incendie dans notre maison. Bref,il y a eu un petit choc encore, qui a remis…
A.-L. T. : L'inquiétude…
A. C. : Qui a remis l’inquiétude. Et du coup, qui m'a forcée à continuer à chercher sur cette thématique du sommeil, et aussi, sur cette thématique de « comment accompagner son hypersensibilité ». Et on est arrivé sur un deuxième petit trauma qui pouvait expliquer son insécurité, qui est un trauma qui est arrivé à son premier mois de naissance sur Terre.
A.-L. T. : Qu'est-ce qui s'est passé, si c'est pas indiscret ?
A. C. : C'était quelque chose que j'avais un peu mis de côté. Mais ce qui s'est passé, c'est que lorsqu'il avait un mois, il est tombé. Je l'avais dans le lit pour l'allaiter, et je l'ai retrouvé le matin, il était par terre. Et donc, ç’a été évidemment un traumatisme pour nous, ses parents, ça l'a été certainement pour lui. Mais je pensais en fait, moi, que… Vraiment, je pensais vraiment sincèrement que moi, je savais que je me sentais responsable de ça, mais je n'avais pas l'impression de porter une culpabilité vraiment énorme. Je vivais avec ça. Il n'y a pas de souci.
A.-L. T. : Mais il s’était rendormi, par terre ?
A. C. : Il s'était rendormi par terre. Je l'ai retrouvé. J'ai fini de l’allaiter vers 4 heures et demie, 5 heures du matin, et je me réveille à 6 heures et demi, 7 heures. Je me souviens encore que j'ai tamponné ma poitrine pour essayer de sentir où il était et de pas le trouver. Donc l'angoisse totale. J'ai regardé partout autour de moi, et je l’ai trouvé par terre. Donc tu imagines ! Et d'ailleurs, suite à cet épisode, toutes les nuits, vraiment toutes les nuits qui ont suivi cet épisode, je me réveillais en sursaut en tapant sur ma poitrine : « Mais il est où ?! » En fait, en l'occurrence, il n'était plus jamais sur ma poitrine puisqu’à partir de ce moment-là, je le mettais toujours dans son lit. Mais je me suis réveillée toutes les nuits après. Avec cette angoisse-là. Et pour autant, alors même que, tu vois, on se rend compte du trauma que ça peut être, et puis, voilà…
A.-L. T. : En même temps, « du trauma », j'imagine. Mais en même temps, si tu vois ton enfant qui dort, qu’il n'y a pas de lésions, etc., tu peux imaginer que, si ça se trouve, ça ne l'a pas plus marqué que ça. Peut-être que c'est ça, aussi, qui a fait que tu n’as pas…
A. C. : Oui. Et puis surtout, qu’est-ce que tu fais ? On l'a évidemment amené à l'hôpital dès le moment où on l'a vu par terre. Ça, c'est évident. Le jour même. Il n'y a pas eu de séquelles, en tout cas physiques. Après, en réalité, quand même, mon mari, quand on est rentrés de l'hôpital, il est devenu tout blanc. On pensait qu'il faisait une crise cardiaque. Il a fait une énorme crise d'angoisse, en fait. Ce qui s'est passé, c'est qu'on a mis derrière nous ça, en disant « Bon, voilà ». Et on n'a pas forcément fait le lien avec cet épisode-là, dont on n'était pas très fiers, et la manière dont se sont structurées nos relations avec Balthazar et, du coup, ses angoisses potentielles. Et donc, au fur et à mesure des pérégrinations, des personnes avec qui on a pu discuter, quelqu'un a mis le doigt sur ça, a mis le doigt sur ce traumatisme, ce qui nous a permis de verbaliser à Balthazar et surtout ce qui m'a permis de me dire « O.K., donc on va aller faire… » On nous a conseillé d'aller faire de l'EMDR, qui est un système de mouvements oculaires qui permet d'effacer les traumatismes. En tout cas, de mieux vivre avec, de digérer les traumatismes potentiels qui ont eu lieu dans ton passé pour pouvoir mieux vivre avec. On est allés à cette séance d’EMDR. L'enjeu, c'était donc de faire de l'EMDR sur Baltazar pour lui enlever ce traumatisme, ce que je pensais être ce traumatisme. Donc j'explique la situation à la thérapeute, et elle me dit : « Oui, alors en fait, ce qu'on va faire, c'est que Balthazar fera certainement la séance d’EMDR, mais, avant, on va travailler ensemble, vous et moi, parce que c'est vous qui allez être avec Balthazar à la dernière séance. Et il faut que vous, toutes les émotions liées à ce trauma aient déjà été digérées. » Et moi, à ce moment-là, je lui dis : « Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas de trauma, en fait, là-dessus. » Tu vois ? Je savais que c'était compliqué. Rationnellement, je le savais et j'avais un peu honte de le raconter, mais je le racontais. Mais je pensais vraiment que c'était avalé.
A.-L. T. : Tu n’avais pas l’impression de porter une culpabilité ?
A. C. : C'est drôle, parce que d'un côté, avec Nicolas, je pense que notre perception de Balthazar, c'était « Il est fragile, il faut faire attention, etc ». Mais je ne mettais pas ça sur le compte d'une culpabilité. Non, je n'avais pas l'impression de porter une culpabilité. C'est très bizarre, l'esprit humain. Donc je lui dis : « Non, il n'y a pas de souci. » Elle me dit : « Si, on va quand même le faire. » Et en fait, il a fallu effectivement trois séances pour enlever… J'avais, mais c'était une montagne de culpabilité sur les épaules. J'ai pleuré comme je n'ai jamais pleuré sur le truc, c'était terrible. Et il a fallu trois, voire même quatre séances pour que je sorte plus apaisée avec ça… Et donc après, on a fait l’EMDR. Donc on a fait l’EMDR pour moi, pour Balthazar.
A.-L. T. : Et quand tu dis que… Oui, excuse-moi… Quand tu dis que tu as « verbalisé » avec Balthazar, comment ça s'est passé ? Tu lui as expliqué ce qui s'était passé ? Et comment il a réagi ?
A. C. : Il y a eu deux moments de verbalisation. Il y a eu le moment où moi je l'ai fait avant d'aller voir la thérapeute. Et puis il y a eu le moment après avec la thérapeute. Et le moment où je l'ai fait avant la thérapeute, ç’a été assez assez incroyable parce que je lui dis : « Voilà, Balthazar, tu sais ce qui s'est passé. » Donc je lui raconte l'histoire une première fois. Il avait donc 3 ans… Non, c’était l’année dernière ! Donc il allait avoir 4 ans : 3 ans et demi, il allait avoir 4 ans. À l'issue de l'histoire, il me dit : « Encore, maman, raconte-moi encore. » Donc je lui raconte une deuxième fois. Il me dit : « Encore maman. » Donc il demande que je lui raconte une troisième fois. Je raconte une troisième fois. À la fin de la troisième fois, il va chercher son doudou. Il me le met sur la poitrine et il me dit : « Encore, maman, raconte-moi avec le doudou. », Donc je raconte avec le doudou, de façon un peu plus théâtralisée. Et donc il écoute tout ça, et à la fin de l'histoire, il prend son doudou et il me dit – j'ai un peu des frissons rien que d'y penser ! – et il me dit : « Tu sais, maman, Doudou, il est fragile, il faut faire attention. Il faut faire attention à Doudou. Il ne faut pas… » Et il me dit quelque chose comme « Il ne faut pas lui arracher la peau ».
A.-L. T. : Incroyable. D'accord.
A. C. : Donc il me dit ça ! C'est complètement fou, c'est hyper fort. C'était bouleversant.
A.-L. T. : Oui !
A. C. : Mais je pense que ça, ça l'a aidé. C'est une première étape, déjà, de voir qu'en fait, tu vois, il n'y avait pas de tabou, qu'on puisse en parler, qu'il verbalise, que du coup, peut-être – je ne sais pas – son souvenir ou son trauma, il avait une réalité, une réalité avec laquelle il pouvait parler avec sa mère. Donc, il y a eu cette première étape. Puis il y a eu l'étape avec la thérapeute, qui s'est scindée en deux. En un, d'abord, le travail pour moi d'enlever cette grosse montagne de culpabilité ; puis l'étape deux, du coup, enlever à Balthazar la suite du trauma, s'il y en avait. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'à partir du moment où moi j'ai compris que j'avais cette montagne de culpabilité aussi, ça m'a permis, déjà, de me l'enlever, mais ça m'a permis aussi de conscientiser le déséquilibre dans la relation qui s'était installée entre nous, les parents, et Balthazar..
A.-L. T. : La représentation que tu avais de lui, qui en fait impactait sa propre représentation de lui-même.
A. C. : Alors il y a ça, effectivement. C'est intéressant parce que ce n'est pas forcément ça que j'avais en tête, mais oui, il y a ça. Et il y a aussi le fait que… On parlait de cadre, tout à l'heure. Et je pense qu'en fait avec Nicolas, on n'arrivait pas à poser le cadre de la bonne manière avec Balthazar parce qu'on était toujours dans un « Oui, mais il faut faire attention ! Il est hypersensible, hyper fragile, etc. ». Donc on n'arrivait pas à trouver la bonne manière. Tu vois ? Et en fait, lui, il ne cherchait que ça. Parce que le fait, justement, de ne pas avoir le cadre de la bonne manière, ça l'angoissait encore plus, en fait.
A.-L. T. : Oui, donc c'était un cercle vicieux de… Vous étiez entrés dans un cercle… Oui : sans fin !
A. C. : Sans fin. Et ça, si tu veux, tu prends des habitudes de mettre en place ce cercle. C'est compliqué d'en sortir mais quand tu comprends que ç’a été généré par des choses et que tu as guéri ces choses-là… En fait, ça prend un peu de temps, mais petit à petit,tout rentre dans l'ordre. Et surtout, ce qui rentre dans l'ordre, c'est que tu réalises que toi, maintenant, tu es beaucoup plus alignée.
A.-L. T. : Quand tu dis « alignée », qu'est-ce que ça veut dire, alignée », « être alignée » ?
A. C. : « Être alignée », c'est aligner ses pensées, ses actions et ses paroles. Et moi, j'ai envie de rajouter « Et son cœur, ses émotions ». Donc, par exemple, dans le cas précédent, si on reprend la situation avec Balthazar, quand je lui disais « non » à quelque chose, par exemple. Et que forcément, au début, ce « non » initiait chez lui un énervement, une crise, etc. Les « non » qui suivaient… Normalement, si tu veux, tu poses une règle, et c'est ce qu'on t’apprend aussi en communication bienveillante : tu poses une règle. Tu vas pas, une fois que tu as posé une règle, trois minutes plus tard, dire autre chose. Tu vas pas céder, en fait. Si tu cèdes parce que… Nous, on cédait. Pourquoi ? Parce qu'on se rendait compte que si le comportement de Balthazar, c'était une crise, etc. à un moment donné… Bon, déjà, on était fatigués parce qu'on n'en pouvait plus des crises. Et aussi, on va, en fait… Je caricature, quand je dis ça, parce que ce n'était pas aussi grotesque. Mais il y avait un peu de « S’il se met dans un état pareil… » En fait, si, j'ai un exemple extrêmement précis. Si tu veux, le soir, il n'arrive pas à s'endormir. Parfois, il fait le clown et il se met dans des situations dans lesquelles il rend la vie impossible à tout le monde. À un moment donné, tu fais quoi ? On s'est dit : « En fait, la seule manière de faire, c'est de l'enfermer dans sa chambre. »Mais moi, quand tu me dis ça, « enfermer dans la chambre », avant, avec justement toutes les lectures que j'ai pu avoir sur le cerveau de l'enfant, la communication bienveillante, c'était quelque chose qui était inenvisageable pour moi, de faire ça.
A.-L. T. : C'était une violence ? C'était une forme de violence ?
A. C. : Indescriptible. Donc déjà, j'avais cette idée-là. En plus, avec mon enfant que je voyais comme étant particulièrement fragile et tout ça, je me disais « Mais ça va être d'autant pire pour lui ». Et en plus, comme j'avais la culpabilité d'avoir déjà fait quelque chose de mauvais avec lui, je me disais « Mais je ne vais pas en rajouter ! ». Donc, je me retrouvais dans une situation dans laquelle je n'avais pas… En fait, je n'étais pas alignée sur le fait de dire. Et, bon, il a grandi, aussi. C'est vrai que ce n'est pas quelque chose que tu fais quand il a 18 mois ou 2 ans. Donc l'âge aidant, maintenant, à 4 ans, tu dis : « Très bien. Tu as envie de te mettre dans cet état-là ? Je t’enferme dans ta chambre et tu reviendras quand tu es calme. » Et là où je le disais avant, potentiellement, mais en fait, j'y croyais pas, je rouvrais la porte deux secondes plus tard parce que ça me faisait trop mal au cœur, je me disais « C'est pas possible, on est en train de le détruire ! ». Et il le savait bien.
A.-L. T. : De le traumatiser !
A. C. : À partir du moment où tu dis : « En fait, c'est ça qui va se passer. » Mais la crise, elle dure à peu près 30 secondes. Parce qu'il sait qu'en fait, tu ne vas pas céder. Et que tu es O.K.
A.-L. T. : Et en fait, ça le rassure. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, de ne pas céder, ça le rassure, alors que toi, tu penses que ça va le traumatiser.
A. C. : Mais bien sûr. Et d'ailleurs, c'est trop drôle parce que, pour la petite histoire, ce qui m'a permis aussi de comprendre, c'est la manière dont ça se passait chez d'autres personnes et notamment chez les grands-parents, évidemment. Il y a eu une anecdote qui nous a complètement rassurés sur le fait que les crises, c'était juste une manière de nous tester, nous, en tant que parents. Mes parents vont garder les enfants. Balthazar commence à faire un petit peu une petite crise, comme ça. Sauf que mon père, qui a une belle et bonne autorité sur lui, descend tout de suite. Et la crise s'arrête au bout de, vraiment, à peine une minute. Et le lendemain, ma maman, au petit déjeuner, dit à Balthazar : « Mais pourquoi tu fais des crises, comme ça, pour dormir ? » Et lui, il regarde ma maman, avec un petit sourire, et il dit : « Et encore, ce n'était qu'une toute petite crise. »
A.-L. T. : Machiavélique !
A. C. : Machiavélique ! Donc en fait, voilà ! Là, on était certains, si tu veux, en entendant ça…
A.-L. T. : De la manipulation quotidienne !
A. C. : De la manipulation ! Bon, alors « manipulation », je n'aime pas ce mot parce qu'on met des choses derrière qui ne sont pas ça. Mais, en tout cas…
A.-L. T. : Il tente. En tout cas, il tente.
A. C. : Voilà, il tente. Et en fait, si tu veux, jusqu'à il y a très peu de temps, nous, on n'était pas cap… Il tentait, il testait ses parents parce que ce dont il avait besoin, c'était de voir qu'il était avec des gens qui savaient ce qu'ils faisaient et qui étaient solides sur ces pensées et tout. Et nous, on n'était capables que de lui offrir un doute permanent. Je pense que le doute est sain et moi, je suis heureuse qu'on soit des gens qui essayons toujours de faire mieux, et qui doutons, et qui soyons dans l'empathie et dans la compréhension de l'autre. Mais en fait, ce n'était pas ça qu’il cherchait, et on était… Les choses étaient à l'envers. On n'avait pas les bagages. C’est pas qu’on n’avait pas les bagages. Mais on n’était pas… L'histoire nous avait entraînés à voir les choses d'une manière qui n'était pas celle qu'il fallait. Et donc, on n’a pu régler la situation qu'en étant aidés par des extérieurs. Je crois vraiment qu'on n'aurait jamais réussi si on n'était pas allés chercher à droite, à gauche, de l'aide auprès à la fois d'amis avec qui on discutait, parce que j'ai eu plein de retours d'amis qui m'ont énormément aidée, et aussi, dans notre cas, avec différents thérapeutes.
A.-L. T. : Et maintenant, c'est une lune de miel avec Balthazar ? Ou c'est pas si simple ?
A. C. : Non, ce n'est pas si simple, parce que ça reste un enfant qui est effectivement dans l'hypersensibilité, etc. Mais ça n'a rien à voir. Je suis vraiment heureuse. Et tu sais quoi ? Ce qui est complètement fou, c'est que tout ça, ça a non seulement facilité les relations avec nous et tout, mais lui, il a pris 10 cm !
A.-L. T. : Il a grandi !
A. C. : Il a grandi physiquement, dans ses apprentissages. C'est incroyable. Dans ses apprentissages, dans le dessin, dans les lettres et tout. Il est mieux. Et c'est incroyable aussi parce que c'était pendant les vacances. C'était pendant les vacances de la Toussaint et donc on est revenus à la rentrée. Il s'était passé toute cette thérapie sur l’EMDR. Et j'ai deux personnes, une de mes copines qui connaît très bien Balthazar et la maîtresse de Balthazar, qui m'ont dit : « Mais c'est fou ce qu'il a grandi pendant les vacances ! Il est tellement plus apaisé et tellement plus ouvert aux autres. »
A.-L. T. : Magique !
A. C. : Magique, tu vois.
A.-L. T. : Ça, ça vaut tous les doutes, les réunions, les consultations…
A. C. : Oui, parce que tu tâtonnes, et puis les gens… Quand tu es dans cette démarche, d’essayer de chercher et tout, tu tâtonnes, tu vois à droite, à gauche, tu peux avoir des retours de gens qui te regardent en disant « Ça va… ».
A.-L. T. : C'est ça. Ce que j'allais dire, c'est que c'est compliqué, aussi, parce que les enfants difficiles, il y a ce regard des autres qui nous jugent.
A. C. : Oui.
A.-L. T. : Alors que nous, parents, on est plutôt très sensibles. On a juste envie que ça évolue, et en même temps, on se rend compte que c'est compliqué. Ce jugement-là, il est lourd à porter.
A. C. : Oui.
A.-L. T. : Donc, quand d'autres personnes, au contraire, remarquent le changement et voient le petit garçon en devenir qu’il est, c'est magnifique.
A. C. : Oui, c'est magnifique. Donc vraiment, c'est super. Et tu vois, peut-être que ce n'est pas terminé. Peut-être que pour lui ou d'autres…
A.-L. T. : Rien n'est définitif et qu'il faut le savoir aussi, que ce n'est pas pour autant que c'est dramatique. C'est juste que c'est la vie qui avance petit à petit. Et je voulais te poser une question. En-dehors de Balthazar, en règle générale, est-ce qu'il y a des situations qui te font perdre ton calme ?
A. C. : Je veux juste mettre l'accent sur quelque chose. Aujourd'hui, je veux dire à tous les parents qu'en fait… Là, tu vois, quand je te raconte l'histoire, et que je te dis, « En fait, on a… », excuse-moi, je vais employer un mot qui n'est pas un beau mot, mais « on a un peu merdé dans les premières années de Balthazar », puisqu'on n'était pas alignés comme il le fallait. En tout cas, on n'avait pas forcément le bon comportement vis-à-vis de lui. Tu vois, les auditeurs, ils peuvent se dire : « Oui, mais du coup, O.K., elle s'est peut-être enlevée la culpabilité de ce qui s'est passé au moment où Balthazar est tombé du lit. » Mais je pourrais me sentir coupable de ne pas avoir été une bonne mère au début. De ne pas avoir fait les bonnes choses. Et en fait, c'est tout le contraire. Aujourd'hui, moi, telle que je suis aujourd'hui devant toi, j'ai beaucoup de bienveillance et d'amour pour les parents qu'on a étés et qui ont tâtonné parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Et je suis extrêmement heureuse et fière de n'avoir pas lâché sur cette thématique-là, et d'avoir essayé plein de choses et d’arriver du coup à la situation dans laquelle on est. Tu vois ? Tout ça pour dire qu'en fait, je pense que c'est la première des choses à faire, c'est vraiment d'être dans une bienveillance et pas dans une recherche… En fait, plus on va se flageller, moins ça va être bénéfique pour les enfants, je pense. Et donc, le lien avec la question que tu viens de me poser, c'est : oui, il y a plein de situations, tous les jours, qui me font sortir de mes gonds. Celles qui sont particulièrement compliquées à gérer, il y en a deux. Enfin, pour moi, qui vont faire résonner des choses en moi qui ne sont pas encore calmées, et qui font que ma réaction est peut-être parfois disproportionnée. C'est, un, les disputes entre frères. Parce que tu as envie…
A.-L T. : Les fameuses !
A. C. : Je pense qu'on est beaucoup dans ce cas-là, et c'est vraiment dur quand tu vois… Parce qu'à la fois, c'est vraiment dur parce que quand tu les vois bien s'entendre, c'est tellement beau. Vraiment, c'est les meilleurs moments, moi je trouve, d'une vie, de voir tes enfants rire aux éclats ensemble, jouer.
A.-L. T. : Oui. Et puis je pense qu'on a cette image d'Épinal de la fratrie idyllique de « J’en fais un, mais je vais en faire un deuxième parce que comme ça, il sera pas tout seul, il aura un copain, etc. ».
A. C. : Oui, tout à fait.
A.-L. T. : Et cette image, elle ne nous quitte pas. Et dès qu'elle correspond plus à la réalité, on est déçus. Alors que je crois, de ce que j'ai compris, moi, avec mes enfants, c'est qu'il faut accepter que certains enfants, même s’ils sont frères, ne s'entendent pas forcément, ne soient pas amis. Au-delà du problème d'avoir son lot d'amour et d'être jaloux de l'autre, qui est encore aussi, à mon avis, un autre sujet un peu incontournable. Quels ont été tes pires échecs –c’est un mot fort – et tes plus grandes victoires avec les enfants ?
A. C. : Tout ce dont on a parlé avec Balthazar. C'est quand même, encore une fois, une victoire. Une victoire, vraiment, parce que je suis contente de ne pas avoir lâché et de me dire que je l’accompagne. Et les échecs… Les échecs, c'est assez régulier, en fait ! C'est toutes les fois, justement, ce dont on parlait tout à l’heure, toutes les fois où des situations arrivent, et je n'arrive pas à exercer l'autorité de manière calme, apaisée et avec justement les outils de communication bienveillante. Et ça, ça arrive régulièrement. Je vais avoir des comportements disproportionnés, parfois peut-être des paroles blessantes. Et ça, je veux le dire quand même, c'est important juste de dire : c'est terrible et j'essaye de progresser, évidemment, et je progresse pour le faire de moins en moins. Mais ce que je veux dire, c'est qu’on peut aussi, en tant que parent, si on a fait ça, si on s'est comporté d'une manière qui nous semble pas cohérente, bienveillante, en tout cas, c'est pas ça qu'on veut faire, on peut aussi, une fois qu'on l'a fait, aller voir l'enfant et lui exprimer ça. Il faut bien faire le distinguo et leur exprimer : « Attention, le comportement que tu as eu, non, ça, ce n'est pas acceptable et je ne suis pas d'accord pour que tu le fasses… »
A.-L. T. : Bien sûr.
A. C. : Mais pour autant, dire : « Et pour autant, je veux m'excuser de la manière dont je t'ai parlé. Parce que ce n'est pas la manière dont je souhaite parler. Et en fait, si ç’a été ça, c'est parce que ça a réveillé en moi quelque chose qui ne t'appartient pas. » Je pense que c'est vraiment un cadeau à leur faire, de montrer qu’effectivement, on est faillibles, de montrer que quand il se passe ça, ce n'est pas eux, mais c'est nous. En fait, ça apprend plein de choses. Ça apprend l'échec et l'apprentissage de toujours essayer de faire mieux. Et ça apprend aussi comment se connecter avec ses émotions, faire le distinguo entre les émotions des autres et les nôtres.
A.-L. T. : En effet, quand on déborde et qu'on s'énerve et qu'on crie, c'est souvent parce que ça fait appel à des émotions en nous ou que ça suscite des réactions trop importantes du comportement de l'enfant. Après, je sais aussi – on le sait tous –, c'est que le quotidien d'une maman qui a deux heures de transport, qui peut-être ne s'entend pas bien ou est près d'être licenciée, qui a des soucis avec ses parents… La vie, aussi, est quand même compliquée et difficile, et « être alignée » et se maîtriser et garder son calme, c'est quand même très compliqué tous les jours.
A. C. : Tout à fait. Mais en fait, effectivement, je ne parle que des émotions. Mais tu as raison, c'est ça. Mais tu peux le dire, ça aussi, à l'enfant. En fait, l'enjeu, c'est d'exprimer à l'enfant que nous avions raison de le reprendre sur le comportement parce que son comportement n'est pas acceptable. En revanche, que si on l'a fait d'une manière disproportionnée, c'est que ça nous appartient. Donc soit c'est parce que ça réveille une blessure, soit c'est parce qu'en fait, la journée a été difficile et qu'on est fatiguée et qu'on n'en peut plus, et voilà. Mais juste lui montrer que ça, cette partie-là, de violence, ça lui appartient pas. Mais oui, tu as raison. Bien sûr que c'est compliqué et c'est pour ça que, vraiment, je pense que le message à faire passer, c'est… En fait, ce n'est qu'à partir du moment où tu as de l'amour, de la bienveillance et du respect pour toi que tu peux l'avoir pour tes enfants, tu vois ? Et que tu peux leur montrer cet exemple-là aussi.
A.-L. T. : Ça apprend aussi beaucoup aux enfants quand on leur montre qu'on est capables de se remettre en cause, d'avouer nos fautes et nos échecs. Un travail sur l'ego qui est très intéressant, même pour plus tard pour eux.
A. C. : En parlant de ça, juste en t’entendant le redire de cette manière-là, ça m'a fait penser au livre qu'on avait lu, qui est génial, qui est Changer d'état d'esprit. En fait, de dire que quand tu fais ça, il y a une chercheuse américaine qui a mis en avant le fait qu'on avait deux types d'état d'esprit et qu'en fait, c'était en fonction de son état d'esprit que tu pouvais déterminer si tu allais réussir ou pas, d'une certaine manière. Elle a un peu regardé et, en gros, soit t’as un état d'esprit fixe. Ça veut dire que tu considères que, en gros, tu as des compétences, des traits de caractère qui sont figés, une bonne fois pour toutes. Ou tu peux avoir un état d'esprit de développement qui dit qu'en réalité, tu évolues tout le temps, à chaque moment de ta vie, et que chaque situation soit une manière de s'améliorer. Et en fait, c’est évidemment cet état d'esprit-là qui est plus propice à la réussite dans la vie, parce que tu te sens mieux, tu relèves les challenges, si tu échoues, ce n'est pas grave, tu recommences, tu vois.
A.-L. T. : Oui. Alors voici mes deux dernières questions : qu'évoque pour toi le jambon-coquillettes, et quel est ton plat fétiche quand tu n'as pas le temps de cuisiner ?
A. C. : « Jambon-coquillettes », ça m'évoque mon plat fétiche quand je n'ai pas le temps de cuisiner !
A.-L. T. : Merci beaucoup et merci d'avoir été aussi cash, transparente, honnête. Voilà une vraie parole qui fait du bien à entendre. Et puis un gros bisou aux deux enfants.
A. C. : Gros bisou à toi et à tes enfants, Anne-Laure. Merci pour cette opportunité de discuter.
Jambon Coquillettes, un podcast du magazine Bubble, la vie de famille… en vrai.