Non, non et non ! Ce nouvel épisode de l’écho des berceaux est bel et bien dans une grosse phase d’opposition. Un épisode pour découvrir plein d'astuces pour passer en douceur cette phase d'affirmation aussi appelée « Terrible 2 ».
Avec Aurélie Callet, Psychologue clinicienne et coach parentale, auteur des livres « Je ne veux pas » et « Je ne dors pas » aux éditions De Boeck supérieur et co-créatrice avec Clémence Prompsy du cabinet Kidz et Family.
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Kim Abramowicz : « Non, non et non ! » Ce nouvel épisode de L'Écho des berceaux est bel et bien dans une grosse phase d'opposition ! Pour nous aider à le prendre avec des pincettes, Aurélie Callet, psychologue clinicienne et coach parental, auteure des livres Je ne veux pas et Je ne dors pas aux éditions De Boeck Supérieur, et co-créatrice, avec Clémence Prompsy, du cabinet Kidz et Family. Aurélie, bonjour !
Aurélie Callet: Bonjour, Kim !
K. A. : Aurélie, nos bébés ont bien grandi depuis le tout premier épisode de L'Écho des berceaux, et voilà qu'ils entrent dans une phase – comment dire ? – un peu tendue. Première question : tous les bébés passent-t-il par cette phase que les Anglo-Saxons appellent « Terrible Two » ?
A. C. : Ils vont tous y passer, de manière plus ou moins bruyante, j'ai envie de dire. Ou plus ou moins forte.
K. A. : Est-ce qu'on la voit arriver, cette période ? Est-ce qu'on la voit venir et à quoi ça ressemble ?
A. C. : Alors oui, souvent, les parents, ça ne passe pas trop inaperçu, ils s'en rendent compte. Maintenant, c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui disent qu'on ne dit plus « Terrible Two » parce que ça a une connotation négative. On parle plutôt de « phase d'affirmation de soi ». On comprend quand même que, bon, en tant que parent, on va devoir un petit peu faire preuve de patience. Oui, c'est l'enfant qui va… Je pense que le principal résumé, en un mot, ce serait « Non ».
K. A. : C'est ça. On voit des enfants qui disent non à tout. Moi, je me souviens de mon fils. Je lui demandais : « Tu veux un biscuit ? » Et il me répondait « Non ! » rageusement, et en même temps, il tendait la main pour avoir le biscuit. On a l'impression qu'ils sont un peu paumés, dans cette période-là, non ?
A. C. : Oui, c'est un peu la période où ils ont ambivalents. C’est-à-dire qu’ils vont pleurer pour qu'on leur donne un truc ; on leur donne, « Mais non, c'est pas ça que je voulais ! ». On a l'impression que…
K. A. : Rien ne va, en fait !
A. C. : C'est ça !
K. A. : Mais elle est plus dure pour qui, cette période ? Elle est plus dure pour le parent, pour qui c'est un peu compliqué, ou elle est plus dure pour l'enfant, qui est vraiment paumé ?
A. C. : Je pense qu'objectivement, elle est plus dure pour l'enfant, parce que ce n'est pas… Quand on voit les enfants qui sont submergés par leurs émotions. Je veux dire, que ce soit la colère, la tristesse, franchement, ça n'a pas l'air d'être marrant pour eux. Alors ce n'est pas facile pour nous en tant que parents, mais bon, nous, on est adultes, on arrive à prendre quand même du recul. Eux, ils sont complètement submergés là-dedans. Moi, il y en a, parfois, je vois qu’il me faut un peu de temps, je vois que c'est pas fastoche pour eux. En tant que parent, parfois, on se dit : « Là, je n'ai pas envie de l'aider parce que je sature. » Mais dans le fond, c'est ce qu'il faut faire.
K. A. : En fait, il faut se rappeler que, oui, c'est ça, que le cerveau de l'enfant est largement immature à ce moment-là, et que l'enfant ne cherche pas à nuire à ses parents. En fait, il est vraiment paumé et il est vraiment dans l'incapacité physique de gérer ses émotions et de se calmer tout seul, etc.
A. C. : Bien sûr, ça n'est jamais mal intentionné. Ce n'est jamais pour vous embêter, pour vous faire du mal. Évidemment que ce n'est pas ça, même si parfois, on peut avoir l'impression de dire : « Non mais là, il se moque de moi, il fait exprès ! » Il faut vraiment prendre de la hauteur, du recul, par rapport à cette période.
K. A. : Donc qu'est-ce qu'on acquiert, comme parent, là, comme habileté ? Souplesse ? Self-control ?
A. C. : Patience, résilience.
K. A. : Ça va servir ! Ça servira pour tout, plus tard, avec ses enfants et avec les gens qui nous entourent d'une manière générale. Mais oui, c'est ça : il faut apprendre la souplesse.
A. C. : Oui, et ce qui va quand même tous vous sortir de cette période-là, c'est l'imagination. Parce que finalement, c'est une période où eux disent beaucoup « non », mais nous… Très souvent, en fait, c'est un peu en miroir. Parce que nous, on n'arrête pas de leur dire « non ». Et puis, on en parlait dans les précédents épisodes, ça fait un moment, qu'on leur dit « non ». – « Non, tu ne parles pas comme ça », « Non, tu ne marches pas là », « Non, ne va pas là », « Non, ne touche pas ça ». Maintenant, ils veulent un truc, c'est « Non, tu ne peux pas »… Enfin franchement, ce n'est pas très rigolo.
K. A. : Ah oui ! Alors en fait, c'est nous qui leur avons enseigné le « non ». C'est comme ça qu’il sort, le « non », en fait.
A. C. : En tout cas, nous, on leur a beaucoup, beaucoup dit. Moi, j'aime bien dire aux parents à cette période des 2 ans : « Essayez vraiment de faire comme si vous jouiez à un Ni oui ni non, et on essaye de dire « non » le moins possible. Par là, je ne veux pas du tout dire qu'on dit « Oui à tout » à ses enfants. Pas du tout ! Mais en tout cas, on essaye d'aller dans le sens de leur émotion. C'est vraiment ça qui marche le mieux mais globalement, à tous les âges, mais encore plus là. « Je vois que tu es très fâché. Tu avais très envie de manger ce gâteau. » En fait, juste ils se sentent compris, déjà.
K. A. : En fait, c'est très intéressant parce que là, du coup… Alors on a souvent parlé de l'enfant roi, des dérives des parents qui disent « oui » à tout. Peut-être que c'est le moment, là, d'éclaircir le sujet, de se demander « À quoi je dis “oui”, à quoi je dis “non” ? »,
« Quel est le sens de mon “oui”, quel est le sens de mon “non” ? », « Comment j'accompagne, comment je comprends mon enfant ? ». Comment on fait pour que son enfant ne soit pas l'enfant roi tel qu'on l'entend, c'est-à-dire un peu tyrannique.
A. C. : Alors il y a plein de trucs dans votre question. La première, c'est déjà : l'éducation positive et bienveillante ne veut pas dire qu'on dit « Oui à tout » à ses enfants. Parce qu'il y en a un peu qui se perdent, dans leur lecture sur l'éducation bienveillante, qui se disent « En fait, je dois recevoir toutes les émotions, toujours aller dans son sens ». Donc, en fait, ça, effectivement, ça peut devenir un peu compliqué parce qu'en fait, on ne répond pas toujours aux besoins de l'enfant, mais on finit à répondre à toutes ses envies, et elles peuvent être très nombreuses et partir un peu dans tous les sens. Donc ça, ce n'est pas forcément lui rendre service parce que personne, à part ses parents, ne fera ça pour lui. Donc ça ne fait que repousser le problème des frustrations, mais dans les relations sociales. Ce qui est important à cette période, c'est vraiment de distinguer « besoin » d'« envie ». On répond toujours aux besoins d'un enfant : besoin de réconfort, besoin de sécurité, besoin d'affection. Voilà : les besoins, on y répond toujours. Maintenant, les envies… Et alors ça, les envies, c’est à chaque parent de faire le tri par rapport à ses valeurs, ses priorités éducatives, ce qui est important pour lui. Voilà. Ça, chacun fait bien comme il veut, mais essayez toujours de, vous, distinguer « Est-ce que c'est une habitude, une envie ou un besoin ? » Moi, je trouve que voilà : il faut répondre aux besoins ; les envies, à chacun de voir si on veut répondre à toutes ou pas.
K. A. : Donc les besoins, on rappelle, c’est les besoins fondamentaux ? Sommeil, nourriture, affection…
A. C. : Sécurité. Donc tout ça, c'est vraiment important. Après, c'est vrai que c'est une période où… Tout à l'heure, vous parliez de quand on dit « oui », quand on dit « non ». En fait, ce qui est hyper important, c'est que vous soyez dans la régularité. Si jamais, en fait, il n'a pas le droit de faire quelque chose, mais que le lendemain, parce que vous avez un appel de boulot, parce que vous avez des copains à dîner à la maison, parce que x, y raison, en fait, la règle change parce qu‘aujourd'hui ça vous arrange, ça donne l'impression à l'enfant que cette décision, d'abord, elle est complètement arbitraire et qu'elle est soumise à la volonté de quelqu'un, ce qui est un peu énervant. Donc vraiment, ne jamais faire d'exception – en tout cas, le moins possible. Parce que si jamais vous dites à un enfant « oui » une fois sur dix à une demande, quelle qu'elle soit – sur les écrans, sur le fait de dormir dans votre lit, peu importe, en tout cas, des choses que les enfants peuvent vous demander souvent – s'il y a une seule fois où vous dites « oui », les enfants vont tenter leur chance neuf fois parce que « Je sais qu'une fois sur dix, ça marche ».
K. A. : Mais alors on disait que les parents doivent apprendre la souplesse, là, à cette période. En fait, comment on enseigne la souplesse à ses enfants si on ne peut pas nous-mêmes déroger de temps en temps à nos propres règles ?
A. C. : En tout cas, la souplesse, il ne faut pas l'avoir sur votre routine du quotidien, sur les choses qui sont vraiment importantes pour vous – que ce soit sur l'alimentation, le sommeil, l'hygiène, en tout cas pour ce qui est important pour vous, les écrans – si vous n'êtes pas d'accord pour qu'il y ait d'écran la semaine, il n'y a pas d'écran la semaine. En fait, avant 7 ans, ce qu'on appelle un petit peu l'âge de raison, avant 7 ans, les enfants ne sont pas capables de voir le côté cool de l'exception. En fait, ils ne vont pas se dire « Ils ont été trop sympa, hier, de me laisser regarder un petit dessin animé alors que c'est un jour d'école ». Le lendemain, quand vous allez dire « non », ça va être terrible pour lui en disant « Mais t'es vraiment le pire des parents de ne pas recommencer ! ».
K. A. : Mais qu'est-ce qui se passe, dans leur tête ? Ils prennent ça pour acquis ?
A. C. : Oui, exactement. C’est-à-dire que si jamais vous dites « oui », si une fois ça peut marcher, en fait, ils vont toujours retenter leur chance. Les exceptions, il faut les faire… On peut faire des exceptions quand on est en vacances, en gros, quand on sort un petit peu de son quotidien, mais toujours en expliquant à l'enfant : « Là, ce sont les vacances. Là, tu es chez Papi et Mamie. Donc ce ne sont pas les mêmes règles qu'à la maison. Voilà ce qu'on attend de toi. » Il faut toujours que ce soit connu à l'avance pour l'enfant.
K. A. : Oui, la règle c’est :on énonce la règle à l'avance.
A. C. : Toujours.
K. A. : Et on peut l'afficher. J'en profite pour dire à nos auditeurs qu'on a plein d'outils comme ça, chez Bubble, et notamment « Les bonnes manières ». On affiche la règle : la règle à table, « Les bonnes manières à table » – alors c'est rigolo, « Les bonnes manières », vous allez voir, c'est très détendu, ce n’est pas du tout dogmatique – « Les bonnes manières aux toilettes »…
K. A. : Et en fait, quand la règle est affichée, on sait ce qu'il faut faire.
A. C. : Exactement. Il y a les règles de la maison, et après, moi, je trouve ça très chouette que ce ne soit pas, par exemple, les mêmes règles… Il y a des parents qui vont se stresser avec leurs parents, leurs beaux-parents, en disant « Non, nous, à la maison, il ne peut pas »… En revanche, ça, les enfants sont tout à fait capables de faire la différence de « Chez Papi et Mamie, je n'ai pas les mêmes règles que chez mes parents ». Tant qu'on leur précise que c'est exceptionnel, c'est les vacances, mais que quand on reviendra à la maison, on reprendra les règles de chez Papa et Maman, il n'y a pas de problème.
K. A. : Oui, en fait, c'est peut-être là qu'ils apprennent la souplesse. Alors cette crise des 2 ans, cette crise d'opposition… Enfin, « des 2 ans »… Elle peut arriver, c'est comme tout : un petit peu avant, un petit peu après, on ne se formalise pas. Elle arrive parfois à un moment où l'enfant ne parle pas encore. Comment on fait pour décoder les raisons de son opposition ? Parce qu'il faut préciser – j'ai l'impression, en tout cas – que ça s'emballe très vite quand on ne réagit pas assez vite, en fait.
A. C. : Oui, c’est-à-dire qu'eux, ils sont complètement dans l'immédiateté, ils ont du mal à comprendre qu'on ne puisse pas être totalement à leur dispo tout de suite. Donc c'est vrai que c'est important de… Ce qu'on disait un petit peu tout à l'heure, c'est-à-dire que : « Oui, tu as envie de faire ça, j'ai compris. Dès que j'ai fini ça, je pourrai le faire avec toi. Dès que l'aiguille de l'horloge est là, je viens. » Il y a des outils, comme le Time Timer, qui permet de voir le temps qui défile, de dire « Quand le rouge sera complètement écoulé, je viens ». Et c'est vrai que quand ils ont 2 ans, 2 ans et demi, que le langage est encore très hésitant, en fait, là, ça augmente les frustrations parce que quand ils se comparent à leurs pairs, ils vont voir que – leurs pairs », « p-a-i-r-s » ! – ils vont voir que certains arrivent à très bien parler, et du coup, ils sont un peu embêtés de voir qu’eux, ils n'y arrivent pas. Et donc ça rajoute de la frustration sur de la frustration.
K. A. : Oui, tout arrive en même temps, en fait. C'est difficile. Il est peut-être plus facile de faire preuve de patience quand on a conscience que son bébé est en train de passer un vrai cap, dans son développement. C'est ce qu'on appelle « une étape d'individuation », c'est ça ?
A. C. : Exactement.
K. A. : Et il a déjà vécu ça vers 8 mois. D'ailleurs, j'invite nos auditeurs à retrouver l'épisode de L'Écho des berceaux qu'on avait enregistré ensemble, Aurélie, très intéressant sur cette étape des 8 mois et cette difficulté à se séparer de sa maman. Comment on dit, d'ailleurs, « Terrible two », en français ? C'est quoi, c’est « les crises d'oppositions » ? Comme on le dit ?
A. C. : Maintenant, on essaie de dire des termes plus positifs. C'est « phase d'individuation », « phase d'affirmation de soi ».
K. A. : Est-ce que c'est un tournant aussi important que le tournant des 8 mois ?
A. C. : Oui, c'est un tournant important parce qu'en fait, parfois, on peut ête un petit peu, en tant que parent, désarçonné par ce qui se passe, et c'est là où, quand on veut un petit peu acheter la paix familiale, qu'on va finalement céder sur des choses. Mais c’est ce qu'on disait tout à l'heure : comme après, l'enfant pense que c'est acquis… Je veux dire, c'est à ce moment-là où on va pouvoir se dire qu'on fait plein d'exceptions, plein de trucs, pensant faire plaisir et apaiser l'enfant. Et finalement, ça n'est pas le cas, parce que ça recrée de la frustration après.
K. A. : Et côté de l'enfant, de la psychologie de l'enfant ? Parce que donc 8 mois, on le rappelle, c'est une période où en fait, le bébé se rend compte qu'il est une personne à part entière. Qu'est-ce qui se passe à 2 ans ? C'est aussi important que cette phase-là ?
A. C. : Oui, parce qu'en fait, l'enfant, aux alentours de ses deux ans, se rend compte qu'il a un pouvoir. En tout cas, il est capable de faire passer quelque chose à l'adulte qui est en face de lui. Il provoque des réactions. Donc c'est une espèce, un petit peu de… C'est comme un superpouvoir, un peu, qu'il a l'impression d'avoir. Et c'est là où, en tant que parent, il faut qu'on arrive à garder du recul et tout ça, même si parfois, on n'y arrivera pas et que ce n'est pas toujours facile. Mais c'est vrai que de voir maman avec les cheveux hirsutes, papa qui pète les plombs, les enfants voient bien qu'il n'y a qu’eux qui arrivent à provoquer ça chez leurs parents, pour de vrai. Ils voient bien que quand ils sont avec leurs collègues, leurs copains, ils ne sont jamais dans cet état-là. Donc il faut faire hyper attention, aux alentours de 2 ans, de ne pas faire ce qu'on appelle du « renforcement négatif ». En gros, il faut toujours que vous encouragiez, que vous félicitiez les comportements que vous voulez voir se reproduire. Tout ce qui ne vous convient pas – et il y en aura plein, des trucs – essayez plutôt de l'ignorer ou de ne pas trop le relever. Si ça vous prend plus de temps dans votre journée, de dire que vous n'êtes pas d'accord, que ça n'est pas bien, ça reste un capteur d'attention. Donc il vaut mieux en faire des caisses quand c'est un comportement qui vous plaît, et en revanche, quand ça ne vous convient pas, essayez plutôt que ça ne vous prenne pas trop de temps. Parce que finalement, dans le fond du fond, ce que les enfants veulent obtenir de nous, c'est du temps, que l'on s'occupe d'eux, etc.
K. A. : Même en négatif. Même quand on crie.
A. C. : Même en négatif, ça reste de l'attention quand même.
K. A. : Et alors qu'est-ce qu'on fait, quand ils ont réussi à nous mettre hors de nous, qu'on est effectivement hirsutes et rouges de colère ? Comment on maîtrise ça ? En fait, il faut se dire que nous, on n'a plus de capacité à maîtriser ça qu’eux, évidemment, puisque notre cerveau a maturé… a priori ! Mais bon, ça nous arrive à tous, de péter un plomb. Et qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce que… Qu'est-ce qu'on fait ?
A. C. : Moi, je pense que c'est toujours important de s'excuser, quand on s’est trop fâché.
K. A. : Même avec un petit.
A. C. : Même avec les petits. Dire : « En fait, je suis désolée, j'étais fatiguée. Les cris m'ont fait tellement mal aux oreilles que je me suis beaucoup fâchée, mais je n'aurais pas dû. » C'est important, aussi, de dire que nous, on peut se tromper, qu’on n'est pas parfait. En gros, que tout le monde se trompe, tout le monde fait des erreurs. Le principal, c'est d'être capable de le reconnaître, déjà. Et de s'en excuser. Et surtout, essayer toujours de penser, de distinguer la personne qu’est votre enfant de ses actes ou ses comportements. En gros : « Quand on se fâche, quand je ne suis pas contente, si jamais, en tant que parent, je peux être triste, ça n'est jamais pour toi, en tant que personne. C'est les mots qui ont été dits, les cris qui sont arrivés dans mes oreilles. Ça, ça a provoqué une émotion chez moi, parfois négative. Mais toi… » Enfin, reprendre de toutes les façons cette notion d'amour inconditionnel. En gros, « Même si là, en ce moment, je trouve que c'est un peu l'enfer, malgré tout, je t'aime et ça, ça ne changera pas ». Il faut leur répéter qu'on les aime, parce qu'on leur dit beaucoup « non », on leur dit beaucoup qu'ils ne peuvent pas faire si, ça, ça. Il faut remettre beaucoup d'amour là-dedans, quand même.
K. A. : Et puis il faut se dire aussi, en tant que parent, que cette crise, elle ne présage rien de la personne que sera l'enfant plus tard. En fait, on voit des enfants qui sont vraiment très difficiles à 2 ans, et après, ça devient des crèmes.
A. C. : Oui. Il y a une légende qui dit qu'un enfant qui a cette période des 2 ans hyper difficile fera une période d'adolescence beaucoup plus fastoche, et l'inverse !
K. A. : Ah ? C’est vérifié ou c’est une légende ?
A. C. : À suivre !
K. A. : Est-ce que cette période, c'est… En fait, l'enfant se rend compte qu'il a une capacité de modifier le comportement de la personne qui est en face de lui. Est-ce que, du coup, c'est consciemment une opposition à l'autorité parentale ?
A. C. : Non, ce n'est pas du tout consciemment une opposition à l'autorité parentale. Une fois de plus, les enfants, ils ne sont jamais malintentionnés, en fait. Pour de vrai. Eux, ils sont dans leur plaisir immédiat. Ils sont autocentrés sur leurs envies, leurs trucs. Le but, ce n'est pas de vous embêter, clairement.
K. A. : Et pour autant, est-ce que vous voyez, vous, des parents qui se sentent remis en cause et qui le vivent mal ?
A. C. : Oui, des parents pour qui c'est difficile parce que c'est des parents qui vont venir nous voir en nous disant : « Franchement, j’essaie, j’essaie. Mais j'ai l'impression que ça ne marche pas. On ne fait que se fâcher. On n'a plus de moments de plaisir dans notre relation. » Parce qu'en fait, ils ont l'impression que les enfants testent énormément les limites, qu'ils ont beau répéter, répéter et que ça continue. Donc ça, c'est difficile en tant que parent, parce qu'on a l'impression qu'on quitte la période du tout-petit, où on était beaucoup dans les papouilles, les câlins, un truc beaucoup plus smooth. Et là, ils peuvent voir des excès de colère, des enfants qui vont se jeter par terre. Parfois, il y a des trucs, les parents, ils se disent : « Mais je ne reconnais plus cette personne. Cette petite personne, je ne la reconnais plus. » C'est pour ça que ce qui peut quand même aider, on conseille à dire aux parents, essayez à cet âge-là, lorsque vous dites « Ce n'est pas le moment, si tu veux ça, ce sera ce week-end, le mercredi », enfin peu importe, en gros, on essaye de différer la demande, etc. Essayez surtout de ne pas trop discuter. En gros, les règles, les enfants les connaissent. Typiquement, si je prends les écrans, qui est le plus facile, c'est interdit à part tel jour ou je ne sais pas quoi, ou il n'y a pas de gâteau avant le dîner ou il n'y a pas… Enfin bon, peu importe. Essayez de ne pas trop discuter. Parce que plus vous allez discuter avec vos enfants pour leur expliquer, plus il se dit que vous allez changer d'avis. Si je vous donne un exemple hyper court, vous devez aller acheter un truc au supermarché en bas de chez vous. Il vous manque un truc, ça vous prend 30 secondes à acheter. Vous arrivez au supermarché en bas et l'agent de sécurité vous dit : « Je suis désolé, madame. Là, il est moins le quart, on ferme à 13 h, alors je sais pas trop, ça m'embête… » Bref, il discute pendant cinq bonnes minutes. Vous vous dites : « il parle, il parle, mais du coup, il va me laisser rentrer. » Et à la fin de cette discussion, il vous dit : « Non mais de façon, madame, je ne peux pas vous laisser rentrer parce qu'on ferme. » Vous allez être hyper en colère contre lui en vous disant : « Mais quel est son problème ? »
K. A. : Il aurait pu me laisser passer il y a cinq minutes !
A. C. : Oui : « Pourquoi il parle ? Il parle, il me fait espérer et il me dit non ! » Vous allez être fâchée, énervée contre lui à mort. Si par contre, quand vous arrivez, il vous dit « Je suis désolé madame, le règlement, c'est que comme on ferme à 13 h, à 45, plus personne ne peut rentrer dans le magasin », je ne dis pas que vous n'allez pas être énervée, pas être saoulée…
K. A. : Non, mais encore une fois, la règle est claire.
A. C. : Mais en gros, il ne va pas vous faire espérer quelque chose. Donc en fait, si jamais la règle, c'est celle-là, ne discutez pas mille ans parce que l'enfant se dit qu'en fait, cette discussion va mener au fait que vous allez accéder à sa demande. Et si après cette discussion de dix minutes, vous lui dites « non », forcément, il va péter un plomb.
K. A. : Alors c'est peut-être le bon moment pour apprendre à gérer ses émotions, à commencer à les nommer. Et peut-être que c'est un exercice pour les parents, ça aussi. Il y a plein de livres, maintenant, des petits outils qui permettent d'apprendre à dire ses émotions. Et nous, parents, on n'a pas tellement été habitués à le faire, non plus.
A. C. : Bien sûr. Nous, c'est vrai qu’au cabinet, on a fait plein de supports que vous pouvez télécharger sur Internet, gratuitement, sur notre site. Nous, tous les supports qu'on fait pour les enfants – des trucs hyper visuels, on a fait un escalier de la colère ou une échelle du bruit, par exemple – quand on l'imprime pour les enfants au cabinet, on dit aux parents : « Mais n'hésitez pas aussi, vous, à vous en servir. Dire : “Là, tu vois, mon chou, ça fait quatre fois que je te demande d'aller dans ton bain. Donc là, moi, sur mon escalier de la colère, regarde… Le gros nuage, il en train de venir. Qu'est-ce que tu pourrais faire pour m'aider afin que je puisse revenir vers le soleil ? Peut-être que si tu allais dans ton bain tout de suite, ça m'aiderait beaucoup, moi aussi, à revenir vers le soleil.”. »
K. A. : Et là, ce que j'entends, c'est un super conseil aussi, c'est d'impliquer l'enfant dans la solution : « Et toi, qu'est-ce que tu ferais, pour ça ? »
A. C. : Oui, toujours. Il faut toujours impliquer l'enfant. En fait, n'hésitez pas à les mettre en miroir sur vous, vous voyez ? Si, je ne sais pas… Par exemple, un enfant qui a tapé ses parents et machin, de lui dire : « Qu'est-ce que tu dirais, toi, moi, si je te racontais que j'ai quelqu'un au travail qui est venu et je n'ai pas voulu lui servir un café, et il m’a tapée très fort et il m'a mis deux coups de pieds. Qu'est-ce que tu penses que j'aurais dû faire ? » Et tout de suite, ils vont se dire « Non, c'est vraiment pas sympa d'avoir fait ça ». Très souvent, il faut prendre un peu de recul avec eux, les mettre en lien sur nos propres émotions.
K. A. : Jouer avec un miroir, un peu.
A. C. : Exactement.
K. A. : Aurélie, on dit souvent que c'est une mini crise d'ado, vous nous avez un peu parlé de la crise d'ado, tout à l'heure. Est-ce que c'est vrai ? On anticipe un peu, mais dans quelques années, les parents qui nous écoutent auront aussi, peut-être, une crise d'ado. Est-ce que ça ressemble à ça ? Est-ce qu'il y a des similitudes dans ces deux phases ?
A. C. : Oui, ça ressemble un peu parce qu'en fait c'est la période, autour de 2 ans, où ils ont envie de faire plein de trucs tout seuls – donc un peu comme les ados, finalement, qui ont envie de faire des trucs tout seuls. La différence, c'est qu‘à 2-3 ans, ils ont envie d'explorer, de faire plein de trucs, mais en fait, ou ils sont trop petits, ou ils ne vont pas y arriver parce qu'ils sont trop petits. Donc en fait, c'est beaucoup de frustrations. Et ces frustrations, on va les retrouver chez les ados aussi. Alors là, ça va plus être par les règles et les injonctions parentales et tout ça. Mais c'est vrai qu'ils ont envie de faire plein de choses.
K. A. : Mais en fait, les règles et les injonctions parentales, on les a à 2 ans aussi.
A. C. : Bien sûr.
K. A. : Donc ça ressemble beaucoup, quand même.
A. C. : Oui, ça ressemble carrément ! À part que ça va être plus difficile, avec de l'imagination, de la ruse et tout ça, de s'en sortir. C'est plus facile de s'en sortir à 3 ans qu'à 15 !
K. A. : Quelles astuces, justement, là, pour les parents qui doivent apprendre à négocier, à ruser. Il y a par exemple cette astuce de proposer des solutions. Par exemple, à un enfant qui est dans l'opposition au moment de l'habillement, c'est assez courant. Le matin, on est pressés, on doit partir à la crèche, mais il y a litige sur la façon de s'habiller. Qu'est-ce qu'on lui dit ? « Tu préfères le pull le rouge ou le pull jaune ? » Là, on donne des choix ?
A. C. : C'est ça, exactement. C'est vraiment grand choix, petits choix. C'est-à-dire que finalement, la grande décision, c'est vous, en tant que parent, qui la prenez. Parce que lui, il est trop petit pour prendre des grandes décisions. En revanche, ça commence à être une personne qui arrive à affirmer sa personnalité, ses envies, ses goûts, et donc il n'y a pas de raison qu'on ne l'entende pas. Maintenant, il faut que ça reste mesuré. Donc il y a évidemment l'exemple que vous donnez, des vêtements : « Est-ce que tu veux mettre ce tee-shirt ou celui-là ? » Si, par exemple, pour l'alimentation, vous dites : « Ce soir, on va dîner des pâtes. » Bon, là, c'est plutôt fastoche, comme exercice. Mais bon, de lui dire : « Est-ce que tu veux des penne ou des spaghettis ? » C'est OK. C'est pas : « Qu'est-ce que tu veux dîner ce soir ? » C'est : « Moi, j'ai décidé qu'on mangerait des pâtes, lesquelles tu veux ? »
K. A. : Encore une fois, choix limité.
A. C. : Exactement. En fait, lui, il a quand même l'impression qu'on écoute son avis, qu'il est consulté. Donc ça satisfait tout à fait ses besoins de cette période-là, de sentir écouté et d'être entendu. Mais par contre, on ne lui laisse pas des choix qu'il est incapable de prendre tout seul parce qu'il est trop petit. D'ailleurs, c'est pour ça que le livre qu'on a écrit, Je ne veux pas, parce que vraiment, c'est le vrai truc. Et on n'a fait que des parties sur « Je ne veux pas aller prendre mon bain », « Je ne veux pas m'habiller », « Je ne veux pas aller à l'école ». Et là, on ne donne que des trucs et des astuces, en fait, pour les parents : qu’ils voient que, avec de l'imagination, avec deux, trois trucs, mais en plus très faciles… Mais c'est vrai que parfois, les parents n'ont pas le réflexe d'avoir une énorme trousse à outils d'imagination et d'idées, donc nous, c'était les aider pour ça. Et parce qu‘à cet âge-là, ça marche ! Ça marche hyper bien.
K. A. : Alors on invite évidemment nos auditeurs à lire toutes ces astuces dans votre livre Je ne veux pas. Mais peut-être une ou deux autres astuces que vous nous livrez quand même ? Au supermarché, par exemple, il y a un truc qui marche bien, c'est de leur donner des missions : « C'est toi qui vas chercher le lait ! » Bon, le lait, c’est un peu lourd !
A. C. : Mais carrément ! Mais même leur prendre le mini caddie ; de leur donner la liste de courses et le Stabilo, et ils « stabilotent » ; de leur dire que quand on a tout mis, ils peuvent appuyer sur le bouton vert de la carte bleue. Il y a ça. Tout à l'heure, on parlait du rangement, de le faire avec eux et de dire : « On essaye d'être les champions du rangement, on a fini avant que la musique soit terminée. » Pour ceux qui ne veulent pas se brosser les dents, pareil, on peut le faire en musique, on arrête de brosser quand la chanson s'arrête. On peut, si on a des brosses à dents lumineuses, éteindre la lumière, et on ne voit que les joues qui s'allument avec la petite lumière de la brosse à dents. On peut, pour les repas, plus les enfants vont participer, cuisiner eux-mêmes, plus ils vont trouver ça bon et plus ça va être facile. Enfin, il y en a…
K. A. : Vous ne manquez pas d'idées !
A. C. : Il y en a des tonnes. Et alors après, par contre, où il faut que les parents se méfient, c’est que, nous, quand ils viennent nous voir, ils ont lu le livre, ils vont dire : « Ça, ça marche super. Par contre, au bout d'une semaine, ça ne marchait plus. »
K. A. : Oui, alors ça, c'est vrai. Comment ça se fait ?
A. C. : Oui, parce qu'en fait, il faut changer d'idée.
K. A. : C'est ça.
A. C. : En fait, l'idée, c'est vraiment… À cette période, en fait, ce que je trouve qui est difficile – en tout cas, pour les parents qui travaillent –, c'est qu’on ne voit pas tellement nos enfants en semaine, et on a l'impression que les deux heures qu'on a passées avec eux, on n'a fait que leur dire « non », qu'eux étaient tout le temps pas contents, fâchés après nous. Enfin… Parfois, on va se coucher et on se dit : « Franchement, ce n'était pas très cool, comme soirée. » Donc gardez le cap de vos rituels, de l'ordre de votre soirée, de vos routines, parce que ça, ça va être un repère pour votre enfant. Et maintenant, toutes ces choses-là, essayez de le passer par le jeu, le fait de rigoler. Comme ça, vous faites toutes ces choses obligatoires. Laissez des petits choix à vos enfants, comme ça, ils ont l'impression de décider. Et voilà, ces choses obligatoires, on peut les rendre amusantes et rigolotes, et votre enfant, il ne retiendra pas « Je me suis lavé les dents, j'ai pris ma douche », il va juste retenir « J'ai bien rigolé, ce soir, avec mes parents ». Et c'est ça, qui compte.
K. A. : Un dernier petit conseil, mais côté parent, cette fois. Parce que, oui, c'est une période où on a l'impression qu'on fait le deuil – qu'on doit faire le deuil – de ce temps du tout petit bébé qui ne nous remettait pas du tout en question. Comment on passe ce cap, côté parent ? Qu'est-ce qu'on se dit ? Qu'en fait, on passe une phase difficile, mais qui va ouvrir plein de possibilités, plein de choses super, en fait ?
A. C. : Oui, parce que c'est là qu’il va… En fait, c'est là qu'ils apprennent plein de choses. Ils développent leur personnalité. Un enfant qui a 3 ans et qui est hyper sûr de lui, qui ne lâche rien… Il y en a, qui sont comme ça. Bon, ça ne nous arrange pas en tant que parents à 3 ans, mais ça, quand il sera adulte, s’il garde ça, c'est une super qualité, de ne rien lâcher, d'aller au bout de ses idées.
K. A. : En fait, peut-être qu'on peut passer cette phase en étant dans l'observation de la personne qu'on est en train de voir émerger, du caractère qu'on est en train de voir émerger. C'est vachement intéressant.
A. C. : Carrément. Et puis si jamais vous voyez que c'est plus compliqué que c'est plutôt une gestion des émotions qui est difficile, aidez-le à gérer ses émotions. Recevez-les, allez dans le sens de ses émotions. Si jamais vous dites, ce que je disais tout à l’heure : « Là, je vois que t'es hyper fâché. Tu avais très envie d'aller chez ton copain, et on ne peut pas, et ça te rend très triste. » En fait, ça ne va pas arranger fondamentalement la situation, mais en tout cas, il va se sentir compris. Vous voyez, c'est comme si, je ne sais pas, vous êtes pieds nus chez vous et vous vous prenez le coin d'une table ou d'une chaise sur le petit orteil, ça va vous faire super mal. Et en tant qu'adulte, parfois, on va avoir besoin de pester, de dire des gros mots pendant cinq minutes. Si quelqu'un vient et qu’il vous dit « Non mais ça va, ne te plains pas, c'est rien ! », en fait, ça ne va pas vous aider. Alors que de vous dire : « Oh là là, non mais ça, se faire mal sur le petit doigt de pied, comme ça, je comprends ! Mais quel enfer ! Ça fait hyper mal. » Il va moins vous énerver, vous voyez.
K. A. : Accueillir les émotions ! Merci beaucoup, Aurélie, d'avoir été avec nous pour cet épisode de L'Écho des berceaux.
A. C. : Merci, Kim !
K. A. : On termine avec un petit récap’ de ce que l'on a appris dans cet épisode. Et notamment que tous les bébés passent par cette phase d'affirmation de soi, de façon plus ou moins dure ! Une phase psychologique importante, qui permet à votre tout-petit de grandir. Alors oui, parfois, on le sent complètement paumé, il peut être très agaçant, mais il faut se souvenir que les enfants ne sont pas volontairement malveillants. Alors même si c'est difficile, faites preuve de patience, de compréhension, d'empathie… en attendant la prochaine crise, la crise d'ado ! Surtout, surtout, les parents, ménagez-vous, sachez de temps en temps prendre le temps qu'il faut – du temps pour vous, pour recharger vos batteries. Bon courage, et à bientôt ! C'était L'Écho des berceaux.