Ce n’est qu’en 2012 que le mot « cousinade » est officiellement entré dans le dictionnaire, mais les enfants, eux, n’auront pas attendu si longtemps pour se délecter de ces retrouvailles au goût de vacances, de fous rires et de complicité. Pourtant, il n’est pas toujours facile de leur offrir des occasions de se rassembler dans nos vies si pressées… Heureusement, il y a les fêtes de fin d’année ! Dans ces joyeuses bandes où les adolescents ne rougissent pas de côtoyer les plus jeunes, où les bambins n’hésitent pas à devenir téméraires pour suivre les grands et où l’on complote en secret derrière le sapin, on oublie les adultes, leurs petits conflits et leurs grandes théories ; on grandit, on partage, on expérimente…
La richesse des cultures enfantines
Si les retrouvailles entre cousins sont si réjouissantes pour les enfants, c’est d’abord parce qu’elles sont l’occasion de passer du temps sans que les adultes s’en mêlent. Une situation devenue rare dans notre société, où les regroupements d’enfants se font majoritairement sur le modèle de l’école, c’est-à-dire séparés en classes d’âge et gérés par des adultes.
Pourtant, les chercheurs sont formels : les cultures enfantines sont d’une grande richesse, et leurs similitudes, retrouvées partout sur le Globe, laissent penser qu’elles seraient universelles. Le linguiste Andy Arleo et l’anthropologue de l’enfance et de la jeunesse Julie Delalande (1) ont par exemple démontré l’efficacité de la tradition orale enfantine, grâce à laquelle les enfants se transmettent, génération après génération, leurs comptines, jeux et formulettes. Ils ont également révélé la place centrale que les enfants accordent à la curiosité, à l’imagination, à l’humour, mais aussi, contrairement à ce que pensent parfois les adultes, à la justice et à l’équité. Ainsi, lorsque les cousins se retrouvent entre eux, les uns apprennent des autres.
Grâce aux grands, les petits deviennent incollables sur les dernières tendances de la cour de récréation : ils découvrent les bonbons trop acides et les sucettes qui rendent la langue bleue, ils apprennent le comble du jardinier et autres blagues douteuses. De leur côté, pré-ados et ados grandissent, eux aussi. En prenant soin des plus jeunes, ils endossent le rôle de baby-sitter d’un jour. Ils peuvent alors éprouver une part des responsabilités que cela implique, mais aussi en retirer fierté et confiance en soi.
Cousins de sang, cousins de cœur
De nos jours, fêter Noël entre cousins de tout âge reste néanmoins une chance qui n’est pas donné à tous : parce que les fratries sont moins nombreuses qu’autrefois ou parce que l’éloignement géographique est plus fréquent. Lorsque les cousins « de sang » font défaut et que le hasard des séparations ou des recompositions familiales n’ont pas offert l’occasion d’élargir les fratries, plusieurs solutions subsistent.
On peut par exemple tenter de réactiver les liens familiaux au-delà des limites habituelles. C’est ce qu’a montré la journaliste américaine Mei-Ling Hopgood, en enquêtant sur les recettes éducatives du monde entier. Pour les membres de la communauté libano-américaine qu’elle a interviewés, la famille est immense : « [Notre famille] comprend mes parents, grands-parents, oncles, tantes, cousins germains, mais aussi les cousins de mes parents et leur descendance, sans oublier les cousins de mes grands-parents, grands-oncles, grandes-tantes, et leur progéniture au complet. Même les grands amis de la famille […] font partie intégrante du clan ! On considère leurs enfants comme nos cousins, au même titre que les vrais. » (2). Suivre cet exemple n’implique pas forcément d’aller sonner à la porte d’un grand-oncle oublié, mais simplement de s’interroger sur les liens sociaux qui comptent vraiment pour nous : ce peut être ces voisins qui ont des enfants du même âge et avec lesquels on s’entend si bien, ces copains devenus parents avec qui l’on aime tant partir en vacances, ou encore ces parents de l’école ou de la crèche, qui passeront eux aussi les fêtes loin de leur famille. Un beau réveillon amical en perspective !
Dépasser les petits conflits
Les retrouvailles entre cousins sont certes le paradis des enfants, mais les adultes, alors ? Pour beaucoup de parents, les fêtes de fin d’année restent une véritable épreuve, où il leur faut revêtir le costume trop étriqué de leurs années d’enfance : le temps d’un réveillon, ils redeviennent aux yeux de leur famille l’adolescent irresponsable, la petite fille capricieuse, l’enfant préféré – autant de rôles qu’ils n’ont eu de cesse de dépasser dans leur vie d’adulte. Pas question pour autant de laisser ces vieilles tensions priver les enfants de retrouvailles qu’ils attendent tant ! Certes, ce n’est pas en une soirée que l’on réglera les petits conflits, mais il reste néanmoins possible de réfléchir à comment mieux les surmonter.
Adele Faber et Elaine Mazlish – auteures d’un best-seller sur la non-violence éducative (3) – connaissent bien la nocivité de ces étiquettes : pour s’en libérer, elles conseillent d’abord aux parents d’éviter d’en formuler avec leurs propres enfants, en évitant de juger les personnes, mais seulement les comportements. À ce titre, un enfant n’est pas « un menteur », mais il a dit un mensonge ; un enfant n’est pas « méchant », mais il a prononcé des paroles inacceptables. Cet effort de langage peut paraître anodin, mais c’est pourtant toute la liberté de l’enfant de devenir lui-même qui est en jeu ! Côté parent, être attentif à cela apporte souvent un soulagement, car c’est votre enfant intérieur qui ressent cette bienveillance et qui vous dit merci !
Au diable la rigidité !
« Il a le droit de sortir de table et de ne revenir que pour le dessert » ; « elle n’est pas obligée de faire la bise pour dire bonjour à mamie » : quand les cousins se retrouvent, ce sont aussi les principes éducatifs des parents qui sont mis à mal ! Pas de panique, toutefois : c’est un préjugé éducatif de croire que les enfants ont besoin d’être entourés d’adultes qui appliquent tous parfaitement les mêmes règles.
La professeure de psychologie et de philosophie Alison Gopnik a même montré que les enfants s’enrichissaient de cette diversité (4): plus les expériences éducatives des enfants sont variées, plus leur connaissance des interactions sociales se complexifie. Un enfant confronté à une diversité de modèles éducatifs apprendra que les règles ne sont pas les mêmes chez lui, chez ses grands-parents ou chez ses cousins et saura lesquelles appliquer au moment opportun. Votre éducation ne s’effondrera donc pas parce que, le temps d’une soirée, il a regardé ce dessin animé que vous trouvez si abêtissant avec sa cousine Léa ou qu’il s’est essayé avec délectation à la console de son cousin Paul. Plus, encore : c’est en voyant comment ses parents réagissent devant ces petites divergences, comment ils font des compromis et s’écoutent, que les enfants apprennent le respect : ils comprennent que l’on peut se côtoyer et s’apprécier, même si l’on n’est pas d’accord sur tout. Et si c’était ça, la plus belle leçon à leur donner durant les fêtes ?
(1) Andy Arleo et Julie Delalande, Cultures enfantines, Presses Universitaires de Rennes, 2011.
(2) Mei-Ling Hopgood, Comment les Eskimos gardent les bébés au chaud et autres aventures éducatives du monde entier, Jean-Claude Lattès, 2013.
(3) Adele Faber et Elaine Mazlish, Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, Éd. du Phare, 2012.
(4) Alison Gopnik, Le Bébé philosophe, Le Pommier, 2012.
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