Entre juillet 1977 et décembre 1978, Marie-France et Christian des Pallières – fondateurs de l’association « Pour un Sourire d’Enfant » (PSE), objet du superbe film documentaire Les Pépites – et leurs 4 enfants, âgés à l’époque de 6 à 12 ans, sont partis en camping-car pour rallier Katmandou depuis Meudon ! Un voyage de 18 mois à travers la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde… Interview, 40 ans plus tard, de Marie-France et de ses 2 filles, Isabelle et Caroline.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de voyager ?
Isabelle : A la maison, Papa lançait des idées et Maman les mettait en œuvre. Nous avions ainsi monté une chorale familiale après avoir vu le film La Mélodie du bonheur ! Un soir, après une sortie cinéma, Papa nous a dit : « Et si on faisait le tour du monde en chantant ? »
Combien de temps avez-vous mis pour préparer ce voyage ?
Isabelle : Deux ans pour boucler notre budget ! Nous avons alors « professionnalisé » notre chorale pour gagner de l’argent : nous chantions dans des anniversaires, des concerts. Nous avons même fait la première partie du spectacle de Gérard Lenorman !
Marie-France : Nous n’avions pas un sou d’avance. Tout le monde s’est mis à faire des économies, même les enfants. Nous avons aussi cherché des sponsors : je ne sais pas combien de dossiers j’ai envoyés ! Au final, nous avons récupéré des bobines de films, du matériel de camping, des pellicules photo et, surtout, le camping-car ! Quand nous sommes allés le chercher, le gérant de la société nous a dit : « Vous réalisez mon rêve »… Mais, malgré toutes ces initiatives, il nous manquait encore une bonne partie de la somme. Caroline a alors proposé de vendre nos meubles de famille. Ni une, ni deux, nous avons vidé notre appartement et vécu les derniers mois dans notre camping-car, sur un parking à Meudon, pour économiser le loyer !
Pendant le voyage, comment s’organisaient les tâches du quotidien ?
Caroline : Papa tenait à un fonctionnement démocratique. La journée commençait par une réunion de famille, afin de décider, ensemble, du programme de la journée et de l’organisation des tâches.
Isabelle : Nous avions chacun(e) des responsabilités. Caroline était responsable de l’eau potable : elle s’assurait qu’il y en ait toujours à bord. Bertrand, du moteur : il vérifiait les niveaux. Moi, j’étais responsable des « relations extérieures ». J’avais des facilités à aller vers les autres, alors j’étais chargée, lorsque nous arrivions quelque part, d’aller faire connaissance avec les personnes sur place et de voir où l’on pouvait s’installer. Éric, qui était encore petit, était responsable des « dessins ».
M.-F. : Au début, c’était compliqué pour moi d’accepter cette organisation. À la maison, j’étais seule à m’occuper du quotidien et, d’un coup, tout le monde voulait s’impliquer ! Il m’a fallu un petit temps d’adaptation. Mais, finalement, je m’y suis très bien faite (rire) !
Comment avez-vous géré l’école ?
M.-F. : Initialement, nous étions censés faire l’école à distance, mais les échanges postaux lors d’un voyage itinérant, ce n’est pas simple… Et puis nous avons eu une autre excuse. À Istanbul, on nous a dit que notre camping-car était trop chargé pour rouler sur les pistes. Il a fallu se délester. Christian a proposé de laisser les manuels scolaires. Je n’étais pas vraiment d’accord, mais nous avons voté et, sans surprise, cette idée a obtenu la majorité !
Isabelle : Mais nous avons appris tellement au fil du voyage ! L’anglais, pour communiquer avec les personnes que nous rencontrions, mais aussi les mathématiques, avec les conversions que nous faisions quotidiennement, et la géographie. Nous dessinions la carte des pays que nous traversions. Et nous écrivions souvent : chacun de nous tenait un journal de bord.
M.-F. : C’était l’occasion de travailler l’orthographe et le vocabulaire. En 1984, nous avons publié un livre, Quatre enfants et un rêve, qui reprend certains passages de nos carnets de voyage.
Caroline : Et Papa nous racontait l'histoire des pays, en mettant en scène des enfants de nos âges.
Quels souvenirs gardez-vous de ce voyage ?
Isabelle et Caroline : La richesse des rencontres et l’hospitalité dont nous avons bénéficié dans tous les pays. Nous avons été accueillis à bras ouverts partout ! Les gens nous proposaient de partager leur repas, même lorsqu’ils n’avaient pas grand-chose. Ayant vécu ces expériences chaleureuses, nous portons évidemment un autre regard sur ce qui se passe actuellement en France avec l’accueil des migrants…
Caroline : Je garde des souvenirs forts de l’Afghanistan, un pays fier et rude, qui attisait ma soif d’aventure.
Isabelle : Je me souviens particulièrement de notre séjour en Inde. Nous nous étions installés dans un petit village du Rajasthan. Nous nous y sentions tellement bien que nous y sommes restés 6 mois. Nous participions aux travaux agricoles, nous avons chanté à un mariage… C’était fabuleux.
Des galères ?
Isabelle : Je me souviens qu’à Hérat (en Afghanistan), on rentrait en pleine nuit d’un dîner chez des amis. Je m’amusais à sautiller et je suis tombée dans une sorte de mare. En fait, c’était une fosse septique ! Maman et Papa m’ont nettoyée de fond en comble ; ils ont eu très peur à cause des possibles infections.
Caroline : En Inde, nous voyions beaucoup de malades de la lèpre. Un jour, aux toilettes, j’ai aperçu des plaques rouges sur mon torse et j’ai craint, pendant quelque temps, avoir été contaminée. En fait, c’était juste une allergie à un T-shirt que je venais de m’acheter !
Comment s’est passé le retour ?
M.-F. : Les enfants étaient contents de retrouver leurs amis et ils n’ont eu aucun problème de niveau. Éric a même sauté une classe. Pour nous, c’était plus difficile : Christian, de retrouver un patron, et moi, la solitude de la maison.
Caroline : Je n’ai jamais eu d’aussi bonnes notes que l’année de mon retour. Non seulement je n’avais aucun retard, mais, en plus, je crois que j’étais très motivée. J’étais contente de retrouver le chemin de l’école : revoir les amis, reprendre le rythme, et je pense avoir compris l’intérêt de tout ce que l’on apprenait. J’ai juste eu un petit souci avec ma prof d’anglais qui n’appréciait pas mon accent indien !
Isabelle : Nous étions ravis de revoir nos amis. Mais, parfois, nous nous sentions en décalage avec leurs préoccupations. Nous nous sentions plus impliqués, sur les sujets géopolitiques notamment.
Avec le recul, Isabelle et Caroline, que pensez-vous que ce voyage vous ait apporté ?
Isabelle et Caroline, de concert : Une grande ouverture d’esprit et un émerveillement sans cesse renouvelé face au monde. Le goût de la rencontre, la curiosité et le respect de l’autre dans toute son altérité. Un grand intérêt pour l’étranger et la géopolitique. Et puis nos parents nous ont appris, à travers ce voyage et la manière dont ils ont toujours vécu, à vivre nos rêves et à suivre nos intuitions plutôt que les « il faut »… Chacun d’entre nous a intégré ces éléments dans sa vie d’adulte.
Quelles activités exercez-vous aujourd’hui ?
Caroline : Je suis engagée à L'Arche de Jean Vanier, où je vis en communauté avec des personnes ayant un handicap mental.
Isabelle : Je suis mariée, j'ai 7 enfants qui ont entre 10 et 22 ans, dont un enfant adopté atteint de myopathie. J'ai fondé avec mon mari, sur les montagnes de la Haute-Loire, un lieu de vie thérapeutique où nous accueillons 6 enfants (de 5 à 18 ans) ayant des troubles psychiatriques et qui partagent notre vie.
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