Chaque année, en France, 100 000 enfants sortent du CP avec de grandes difficultés pour lire et écrire, ce qui les condamne à un échec scolaire plus que certain*. Pour remédier à ce décrochage souvent inégalitaire, l’association Coup de Pouce mène un combat essentiel en leur venant en aide au travers de ses clubs CLÉ (clubs de lecture et d’écriture). Explications avec Philippe Boutot, directeur général.
Pour en savoir plus sur l'Association Coup de Pouce
Comment tout a commencé ?
En 1984, à l’initiative de Jean-Jacques Moine, un groupe d’enseignants-chercheurs lyonnais, soucieux d’agir contre l’échec scolaire, entament 10 longues années de recherches. Ils constatent qu’en fin de CP une 1re catégorie d’élèves sait et aime lire, alors que l’autre ne sait pas lire et n’a plus envie d’apprendre à lire. Leurs recherches montrent alors que les enfants qui reçoivent de leur environnement social et familial « une poussée culturelle favorable » sont presque tous dans la 1re catégorie et que, par ailleurs, l’implication des parents est essentielle, non pas forcément techniquement, mais moralement et affectivement**… En 1994, forte de ces recherches, l’association Coup de Pouce développe le Coup de Pouce CLÉ, avec l’objectif que chaque enfant scolarisé en CP, quel que soit son contexte social et familial, sache et aime lire et puisse bénéficier des atouts indispensables pour réussir à l’école.
Quelles sont ces difficultés auxquelles les enfants sont exposées ?
La majorité des enfants en échec scolaire ne trouvent pas dans leur milieu familial les étayages et l’accès à la culture écrite dont ils ont besoin pour acquérir les apprentissages : certains parents sont en situation d’illettrisme ; d’autres ne maîtrisent pas (ou peu) le français ; un certain nombre ont eu un passé scolaire difficile ; d’autres encore sont dans une situation sociale et économique qui ne leur offre aucune disponibilité ni les moyens d’accompagner leur enfant…
Comment identifiez-vous les enfants qui ont besoin d’aide ?
Les enfants dits « fragiles en lecture » sont identifiés par les enseignants entre la rentrée de septembre et la Toussaint. On leur propose alors d’intégrer gratuitement un club (de novembre à mai), tout en demandant aux parents de s’impliquer de manière active (selon leurs possibilités, bien sûr), comme de venir chercher leur enfant à la sortie du club, d’échanger quotidiennement avec eux sur les activités réalisées au club et à l’école, de les accompagner aux différents événements organisés (cérémonies d’ouverture et de clôture et goûter littéraire), d’assister au moins une fois par trimestre à une séance de club Coup de Pouce… Les parents ont le sentiment d’être très souvent démunis pour accompagner leur enfant dans sa scolarité ; notre volonté est de les associer à notre action pour leur redonner confiance.
Comment se déroule une séance de club Coup de Pouce CLÉ ?
Les enfants se retrouvent pendant 1h30 après la classe, par groupes de cinq, 3 à 4 soirs par semaine. La séance a lieu dans l’école afin que les parents comprennent bien que l’école et le Coup de Pouce CLÉ travaillent ensemble et sont complémentaires. Chaque séquence commence par 30 min de détente et de discussion autour d’un goûter.
L’animateur.trice aide ensuite les élèves à faire le travail de lecture donné en classe, puis enchaîne sur des activités ludiques dans lesquelles les enfants sont placés systématiquement en situation de réussite. En fin de séance, il/elle termine par la lecture d’une histoire à haute voix, après avoir consacré du temps individuel à chacun.
Quels impacts ont vos clubs sur le parcours des enfants ?
La présence d’un enfant dans un club Coup de Pouce CLÉ peut changer la vie de la famille et modifier le rapport de ses parents à l’école ! Depuis sa création, en 1994, nous avons accompagné plus de 120 000 enfants et leurs parents. En 2016-2017, 9 792 enfants ont été accompagnés dans 248 villes. À chaque fin d’année scolaire, une évaluation est réalisée auprès des acteurs participant au programme : selon les enseignants, qui répondent chaque année massivement, 79% des enfants deviennent bons ou moyens lecteurs ; 84% développent leur confiance en eux ; 81% voient augmenter leur motivation pour le travail à l’école et 91% des parents se disent être en mesure d’aider leur enfant les années suivantes…
* Rater l’apprentissage de la lecture pénalise l’ensemble de la scolarité à venir et compromet gravement l’accès au bac (dans les années 1980, seuls 6% des élèves ayant redoublé leur CP parvenaient au bac).
** Dans une enquête, une mère d’origine tunisienne, analphabète, explique : « ma fille est au CP, je la prends sur mes genoux pour la faire lire ». À travers cet acte apparemment banal se vit une « triple autorisation », riche de signification anthropologique : la mère, qui ne sait pas lire, autorise sa fille à apprendre ce qu’elle-même ne sait pas ; de ce fait, la fille s’autorise à apprendre quelque chose que sa mère ne sait pas et la fille autorise sa mère à être ce qu’elle est, sans le lui reprocher. Il importe que les parents se sentent, eux aussi, autorisés à aider leur enfant, en dépit de leurs éventuelles difficultés avec l’écrit.
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